2. LANCER SON PROJET : BOÎTE À OUTILS MÉTHODOLOGIQUE

Le lecteur trouvera dans cette partie une boîte à outils méthodologique permettant d’imaginer et mettre en œuvre un projet d’innovation territoriale. Elle permet de capitaliser sur les expériences des huit structures contributrices de cet ouvrage, et de fournir à tout porteur de projet, quelques clés, bonnes pratiques à suivre et erreurs à éviter.

Cette séquence méthodologique ne vise pas l’exhaustivité et s’inscrit en complémentarité à d’autres ressources disponibles, notamment celles relatives à la gestion de projet pour lesquelles de nombreux outils ont d’ores et déjà été diffusés.

Présentée sous la forme d’un guide séquencé en étapes, cette seconde partie propose une synthèse non exclusive des méthodes éprouvées par les rédacteurs de ce guide. À noter que ces étapes ne se réalisent pas nécessairement par ordre chronologique et peuvent au contraire être abordées de manière simultanée.

2.1 Diagnostic du territoire et co-construction

A. Qu’est-ce qu’un diagnostic de territoire ? En quoi consiste la co-construction ?

Un diagnostic de territoire est une démarche qui consiste à identifier les caractéristiques d’un territoire donné, souvent en vue de construire des solutions adaptées aux besoins locaux. Il s’agit d’une première étape indispensable au lancement d’un projet d’innovation territoriale. Il peut mettre en lumière les données suivantes :

  • —  démographie du territoire ;
  • —  niveau, type et vitalité de l’emploi ;
  • —  offre de services de proximité et types d’activités économiques ;
  • —  caractéristiques environnementales ;
  • —  besoins (sociaux) peu ou mal satisfaits ;
  • —  couleurs politiques et grandes orientations des politiques publiques locales ;
  • —  cartographie des acteurs associatifs et privés d’intérêt général ;
  • —  partenaires potentiels du projet.

Ce diagnostic externe peut s’accompagner d’un diagnostic interne à l’organisation porteuse du projet. Cette phase consiste à identifier le niveau d’adhésion au projet, les éventuelles craintes et réticences de l’équipe en place, les ressources financières, matérielles et humaines existantes disponibles ainsi que l’alignement de la vision de la chaîne managériale ou de gouvernance.

L’ensemble du diagnostic interne et externe doit permettre de définir la proposition de valeur du projet et d’identifier l’ensemble des collaborations à mettre en place pour favoriser son développement. Pour être le plus pertinent possible et préparer la suite du projet il est recommandé d’adopter une démarche de co-construction dès le diagnostic, c’est-à-dire de construire un diagnostic partagé.

B. Pourquoi la démarche de co-construction est-elle indispensable ?

La co-construction est au cœur de la définition de l’innovation sociale, telle que proposée par le Conseil Supérieur de l’ESS. Cette co-construction est essentielle à de nombreux égards. Elle permet :

— d’identifier au mieux les besoins auprès des acteurs concernés (directement auprès des futurs bénéficiaires ou auprès de structures intermédiaires en lien avec eux) ;

— de s’assurer de la complémentarité du projet aux actions menées par d’autres acteurs et construire une vision partagée autour des réponses à développer ;

— de renforcer la solidité du projet par l’alliance de ressources et d’expertises multiples ;

— de garantir l’ancrage local du futur projet et le soutien des acteurs du territoire en les associant à sa définition ;

— de créer un espace d’intelligence collective fertile permettant l’amélioration continue du projet et la génération d’autres effets positifs par le dialogue et la mise en lien d’acteurs complémentaires.

Adopter une démarche de co-construction dès la phase de diagnostic permet d’identifier et de collaborer avec les partenaires essentiels du projet, de dessiner dès le départ une vision partagée de la problématique et de l’intérêt des activités envisagées, en validant les constats préétablis, et de mettre à bord les futurs usagers. Cela permet aussi de sonder les acteurs sur des démarches antérieures ou en cours de création de solutions. Enfin, cette première étape de consultation amorce une dynamique partenariale et préfigure le groupe-projet.

C. Comment organiser le diagnostic et la co-construction ?

Réaliser le diagnostic | Le diagnostic de territoire – a fortiori lors- qu’il est co-construit – synthétise de nombreuses informations aux sources variées. Outre la consultation d’études socio-démographiques mises à disposition par les instituts publics (données territoriales de l’INSEE, Analyses des Besoins Sociaux réalisées par les municipalités ou les CCAS, etc.), des données peuvent être directement collectées auprès de la population à travers des enquêtes, des réunions collectives et des focus-groupes. Les rencontres individuelles sont tout aussi essentielles dans la réalisation du diagnostic, car elles permettent de capter la perception de chacun, de com- prendre les éventuelles objections ou les points de questionnement à lever dans la phase d’analyse. Ces moments d’échange permettent également de créer un rapport de confiance entre le porteur de projet et les parties prenantes à mobiliser.

Pour mener cette phase à bien, il est recommandé :

— d’identifier des alliés connaissant le territoire et ayant un réseau déjà établi sur lequel s’appuyer, pour gagner du temps et se faire recommander auprès d’autres contacts ;

— de consulter le plus possible les acteurs confrontés aux problématiques étudiées ;

— de s’inscrire en complémentarité avec les démarches ou réflexions en cours plutôt que de faire doublon.

NB : Pour plus de conseils sur l’identification des partenaires, se référer à la partie suivante.

Le diagnostic est ainsi un préalable indispensable au cadrage du projet : il permet d’identifier les besoins non couverts ou insuffisamment couverts dans le territoire et donc, en miroir, de mettre en évidence les thématiques d’intervention du dispositif à créer. Une fois ce travail réalisé, il convient de définir la proposition de valeur du projet.

Construire la proposition de valeur | La proposition de valeur du projet doit répondre aux questions suivantes : À quoi et qui celui-ci doit-il servir ? Qu’apporte-t-il in fine à ses usagers ? L’implication d’acteurs clés durant cette phase de conception, permet de crédibiliser le projet à venir et de favoriser son appropriation par de futurs partenaires. Il est ainsi important d’interroger les futures parties prenantes sur la proposition de valeur formulée. Cela permettra de développer un sentiment d’appartenance au projet, tout en contribuant à l’orienter et à l’enrichir. Pour ce faire, il est recommandé de s’inscrire en complémentarité de l’existant et s’interroger sur la manière dont le projet peut venir enrichir les pratiques et les activités existantes plutôt que d’en recréer en marge.

Prototyper le projet | Il s’agit pour cette phase d’associer les différents acteurs essentiels à la mise en œuvre du projet, qui pourront apporter regard, ressources et savoir-faire, et d’ainsi en faire un projet collectif. Le groupe-projet assure l’adéquation entre le travail théorique de conceptualisation et la réalité opérationnelle du territoire. Il permet de dresser les priorités à donner au futur projet et de partager en transparence les arbitrages opérés.

Pour ce faire, il est recommandé de :

  • — sonder les acteurs sur leurs attentes vis-à-vis du projet, leur disponibilité / le temps qu’ils pourraient y consacrer et les modes d’engagement et de communication qui leur conviennent ;
  • — définir clairement la distribution des rôles et des res- ponsabilités entre les acteurs ;
  • — construire une gouvernance partagée pour le projet, notamment à travers la constitution de différents cercles d’acteurs : un noyau dur, des partenaires associés ponctuellement sur certaines dimensions du projet, les alliés nécessaires, les acteurs à informer, etc.

2.2 Identifier et fédérer les partenaires

A. Qui sont les partenaires pertinents pour son projet ?

Chaque projet d’innovation territoriale est une aventure partenariale. Devant la multitude de parties prenantes potentielles, il est important de savoir identifier les partenaires pertinents pour la bonne mise en œuvre de son projet. Voisins, commerçants, élus locaux, entreprises, bailleurs, fonctionnaires, agences publiques, clubs de sports, parents d’élèves, touristes – qui sont les partenaires à fédérer ?

Les partenaires clés sont à identifier selon la raison d’être, la mission et les objectifs de son projet. Quel est mon public cible prioritaire ? Quels impacts mon projet doit-il avoir sur eux ? Quels moyens mettre en œuvre pour atteindre mes objectifs ? Quels sont les freins potentiels et comment les lever ? La sélection des partenaires doit passer par la formulation de telles questions cardinales, dont les réponses sont nécessaires à l’émergence d’un projet pertinent et viable dans le territoire dans lequel il souhaite s’insérer.

Il est par ailleurs intéressant de repérer les acteurs déjà mobilisés sur la thématique du projet et ce, à deux échelles :

— locale : des projets similaires ont-ils déjà émergé sur le territoire ? Ont-ils réussi ou rencontré des difficultés ? Sur quelles structures locales se sont-ils appuyés ?

— régionale ou nationale : existe-t-il des réseaux spécialisés sur la thématique de son projet ? Proposent-ils un accompagnement ?

Enfin, un collectif de partenaires doit faciliter la mise en œuvre opérationnelle du projet, maximiser son impact sur les publics cibles et encourager sa pérennité. Au-delà des questions structurantes du projet et de l’ambition qu’il défend, l’identification du bon écosystème partenarial doit ainsi prendre en compte les aspects plus opérationnels associés à la feuille de route. Parmi eux, on retrouve :

La programmation d’activités | Nouer des partenariats avec les acteurs locaux (collectifs citoyens, associations, startups, entre- prises, organisations publiques) intervenant déjà sur le territoire et auprès des publics cibles, identifier leur besoin et leur donner une place dans le projet.

La fréquentation d’un lieu ou d’un service | S’approcher du conseil de quartier, du conseil municipal, de l’office du tourisme, des collectifs de voisins ou de riverains mais aussi des entreprises qui peuvent exister à proximité. Tous les groupes constitués sont à consulter pour construire le projet le plus inclusif et attractif possible et seront autant de relais communicationnels potentiels pour le dispositif créé.

Le financement | Échanger avec les collectivités locales (Région, Département, Établissement public de coopération intercommunale (EPCI), Commune) qui proposent régulièrement des appels à projets, les entreprises (petits commerçants, PME) et les associations du territoire.

Les autorisations administratives | Prendre contact avec la commune ou la préfecture.

L’accompagnement en ingénierie de projet | Prendre contact avec les réseaux d’entraide et de fédération des tiers-lieux (ex : France Tiers-Lieux, Coopérative des Tiers-Lieux,…)

B. Pourquoi l’écosystème partenarial est-il un élément déterminant d’un projet d’innovation territoriale ?

Un projet d’innovation ne sera territorial que s’il est connecté aux problématiques de son territoire. En fonction de la ou des thématiques traitées, identifier les dispositifs pré-existants et les structures de l’écosystème sur lesquelles s’appuyer renforcera la pertinence de la proposition de valeur et lui permettra de s’inscrire en complémentarité avec l’écosystème socio-économique local. Avoir fédéré un collectif de partenaires donnera également au projet de plus grandes chances d’aboutir et de faire face aux contraintes conjoncturelles (ressources matérielles, humaines, financières, etc.).

C. Comment embarquer les partenaires identifiés ?

Après avoir identifié les partenaires potentiels, il est nécessaire de susciter leur adhésion et de fédérer un collectif partenarial autour du projet. Pour ce faire, le porteur de projet peut réaliser trois actions clés.

D’abord, si ce n’est pas déjà fait en phase de diagnostic, réaliser une cartographie des partenaires identifiés en mettant en exergue, pour chacun d’eux :

  • – ce qu’il peut apporter ou retirer au projet ;
  • – ce que peuvent être ses motivations pour s’investir dans le projet, ce que le projet peut lui apporter ;
  • – ce que peuvent être les freins à son engagement dans le projet.

Il est ensuite important, en amont de la prise de contact, de définir la place que pourra prendre le partenaire au sein du projet (ex : participation au sein de la gouvernance, un partenariat opérationnel) et des éventuelles contreparties associées (ex : association de son logo aux communications, prises de paroles lors des événements). Pour cela, il est utile d’avoir identifié lors de l’étape précédente la valeur ajoutée du projet par rapport aux enjeux de chaque partenaire potentiel (engagement, impact local, visibilité, expérimentation, rencontre de nouvelles structures, etc.).

Enfin, il convient de prendre contact avec les partenaires et les convaincre de rejoindre le projet en mettant en avant un argumentaire qui s’appuie sur les éléments identifiés lors de la phase de cartographie. Si les prises de contact par mail sont possibles, elles sont souvent chronophages et pas toujours efficaces. Plusieurs astuces permettent de maximiser les chances d’engager les acteurs lors de cette phase :

  • — Sélectionner au sein de l’équipe projet, les personnes qui apparaissent les plus à même de répondre aux affinités des interlocuteurs visés, pour initier la prise de contact ;
  • — Identifier un tiers de confiance qui peut jouer l’intermédiaire ;
  • — Se rendre à des événements autour de la thématique de son projet et engager la discussion avec de futurs partenaires ;
  • — Recourir aux réseaux sociaux (au premier rang desquels LinkedIn et Twitter) pour prendre directement contact avec les personnes ciblées.

Le plus difficile est souvent de nouer son premier partenariat. La présence de partenaires initiaux facilitera ensuite l’adhésion de nouvelles structures au projet, parce qu’elle conforte la légitimité de l’initiative, et/ou qu’elle donne potentiellement accès à un carnet d’adresses enrichi.

Afin de fédérer un collectif partenarial solide, il convient de garder à l’esprit deux points d’attention. D’une part, plusieurs niveaux de partenariats sont possibles et élargir son écosystème partenarial au maximum, à des niveaux diversifiés, est souvent un facteur de succès du projet sur le long terme. D’autre part, construire des partenariats est une chose, les faire vivre et durer dans le temps en est une autre. Fédérer un écosystème partenarial est une tâche de tous les instants. Il convient d’adopter une stratégie d’animation de communauté qui inclura les citoyens et les partenaires pour faire vivre cette coopération tout au long du projet.

2.3 Animer la communauté ?

L’animation de communauté est la suite logique des deux premières étapes présentées dans cet ouvrage. La démarche de co-construction et de fédération d’un collectif partenarial permet la création d’une communauté hybride composée de citoyens, d’entreprises, d’associations et parfois de pouvoirs publics qu’il convient d’animer pour faire vivre le projet et conserver dans le temps sa dimension collective.

A. Qu’est de que l’animation de communauté ?

Au quotidien, nous partageons des espaces, des habitats, des ressources ou des pratiques avec nos voisins, nos collègues, des inconnus, etc. Chaque jour, nous interagissons avec des objets collectifs, ou communs, en nous organisant autour de règles plus ou moins explicites. Sans animation de communauté, la gestion des communs est archaïque. Il en va de même pour un projet à forte dimension collective, comme pour une innovation territoriale.

L’animation de communauté, c’est donc le processus continu par lequel un ou des porteurs de projet informent, fédèrent et facilitent les relations d’un collectif. Il s’agit finalement de créer les conditions propices à ce que les membres puissent ensemble prendre soin de leur projet.

B. L’importance de l’animation de communauté

Si pour les partenaires cette dimension semble intuitive, l’animation de communauté est un levier essentiel de mobilisation citoyenne, elle-même au cœur des projets d’innovation territoriale. En effet, trop souvent perçus comme de seuls consommateurs ou bénéficiaires d’un service, les usagers citoyens doivent pouvoir trouver dans un projet d’innovation territoriale l’espace pour co-construire, co-produire, participer.

Apprendre à animer une communauté hybride est essentiel car la tâche n’est pas si aisée. Les communautés constituées réunissent parfois des mondes très divers : univers professionnels variés, milieux sociaux différents, écarts culturels ou générationnels. La présence d’un animateur permet de décoder les incompréhensions et instaurer un dialogue fédérateur.

C. Comment organiser l’animation de communauté ?

Pour animer une communauté, quelques bonnes pratiques sont à garder à l’esprit.

RASSEMBLER | D’abord, il faut, si ce n’est pas déjà fait, aller à la rencontre des citoyens. Si les partenaires et certains citoyens ont pu être identifiés en amont lors de la phase de diagnostic, la majorité des futurs usagers ne connaissent pas encore le projet. Il faut donc engager un travail de terrain, en rencontrant les personnes et veiller à être à l’écoute des attentes. Cette démarche proactive doit par ailleurs permettre d’identifier des parties prenantes qui ne sont pas intégrées dans les canaux de communication classiques (réseaux informels, personnes isolées, etc.). En parallèle de cette immersion, il convient de collecter les envies, les freins et les savoir-faire de chacun. Pour cela, plusieurs canaux peuvent être utilisés. Ils doivent être choisis en tenant compte des spécificités du territoire et des publics recherchés (tractage sur un marché, réunion publique, présence lors d’un événement associatif, etc.).

INFORMER | Ensuite, et une fois ce recensement réalisé, il faut instaurer des canaux d’information réguliers afin que chaque partie prenante, qu’elle soit citoyenne ou partenaire, suive les avancées du projet et soit rassurée quant à son sérieux et son portage. Pour ce faire, les porteurs de projet pourront choisir les canaux qui conviennent le mieux à leur public (mails, newsletter, applications de messagerie instantanée, réseaux sociaux, affichage papier, etc.).

DIALOGUER | Puis, il est indispensable de mettre en place des espaces de dialogues inclusifs et conviviaux, à travers des temps de réflexion collective. Ces espaces peuvent être physiques (réunions publiques, rencontres informelles) et virtuels (groupes réseaux sociaux, etc.). Plusieurs recommandations peuvent être ici faites aux porteurs de projet :

Adopter une posture d’écoute et d’ouverture | Cela est important pour conforter chacun dans sa légitimité à participer au projet. Si parmi les usagers se trouvent des publics éprouvant des difficultés de communication (handicap, peu l’habitude de prendre la parole, etc.), des efforts pourront être fait pour leur permettre de s’exprimer.

Documenter les échanges | Ces instances de dialogue doivent permettre de faire avancer le projet, c’est pourquoi il est important de documenter les échanges et de partager ces compte-rendus.

Installer la régularité | Ces temps d’échange doivent être programmés sur un calendrier fixe et régulier sur des créneaux qui permettront la disponibilité du plus grand nombre (ex: tous les premier mardi du mois à 18h).

Faciliter l’échange | Pour animer ces moments clés, la présence d’un facilitateur formé ou sensibilisé à l’animation de groupes permet d’endiguer les mécanismes de dominations inhérents aux organisations humaines. Il pourra alors apporter de la transparence, clarifier les termes techniques, veiller à inclure chacun dans la prise de parole. Autant de bonnes pratiques qui garantiront des relations saines dans l’organisation. Ces temps doivent permettre à la communauté d’exprimer des envies et des directions.

TISSER DES LIENS ET ENGAGER | Néanmoins, ces temps de réflexion collective formels ne doivent pas s’éterniser et trop s’assimiler à du travail classique. Si l’engagement dans le projet devient une corvée, la communauté citoyenne se démobilise rapidement. C’est pourquoi ils peuvent être suivis ou se conjuguer avec des temps plus informels dédiés à la convivialité, au lien et au plaisir d’être ensemble. Ces moments permettent à chacun de tisser des liens inter-personnels, qui représentent les moteurs d’engagement de long terme. Ils peuvent prendre de multiples formes : repas collectif, apéritif, organisation d’une soirée mensuelle, activité manuelle partagée, etc.

Enfin, pour l’ensemble des ces actions, les porteurs de projet devront accorder une attention particulière aux éléments suivants.

L’importance de l’espace physique | Les lieux où seront réalisés ces temps d’animation contribueront à l’ambiance générale du projet. Ainsi, s’ils sont réalisés dans un cadre trop institutionnel (coworking, bureaux, etc.), certains citoyens pourront s’éloigner de la dynamique. A l’inverse, certains publics ou partenaires seront plus sensibles aux rencontres formelles. Il est à noter que créer des moments de convivialité dans des espaces en plein air, facilement accessibles, équipés par exemple de mobilier en bois ou de couleurs chaudes, fonctionne bien. Ces espaces ont le mérite de mettre tout le monde sur un pied d’égalité et de favoriser les rencontres.

L’importance du facilitateur | Pouvant être ou non le porteur de projet, le facilitateur est essentiel à la bonne tenue de ces événements. Sa posture doit être ouverte, à l’écoute et pro-active. Le facilitateur ne doit pas faire à la place de l’autre mais créer des conditions paisibles de découverte et de participation. On parle parfois de « présomption de confiance », démarche subtile qui combine accueil, signalétique, aménagement des espaces, médiation, sécurité et présence.

Le caractère continu de l’animation de communauté | Ces efforts d’animation ne doivent pas être déployés seulement à l’origine du projet mais bien tout au long de sa vie, de la conception à la gestion opérationnelle. Faire ensemble est la clé d’une innovation territoriale qui dure et grandit dans le temps.

L’animation de communauté est ainsi indispensable de communauté est indispensable à la gestion d’un projet collectif dont l’objectif est d’accroître le bien-être du territoire. Une fois la communauté engagée, afin qu’elle perdure dans le temps et pour institutionnaliser la participation citoyenne et partenariale à la prise de décision, des mécanismes de gouvernance partagée peuvent être mis en place.

2.4 Gouvernance partagée et inclusion de chacun

A. Qu’est ce que la gouvernance partagée ?

Le concept de gouvernance a connu plusieurs définitions et son appréhension a évolué au fil du XXe siècle jusqu’à nos jours. Si de multiples définitions existent, nous avons choisi de retenir celle du média Youmatter.world qui en parle comme « un ensemble de décisions, de règles et de pratiques visant à assurer le fonctionnement optimal d’une organisation, ainsi que les organes structurels chargés de formuler ces décisions, règles et pratiques, de les mettre en œuvre et d’en assurer le contrôle »[1].

Diffusée largement dans le champ de l’action publique, l’approche par la gouvernance s’est élargie aux sciences managériales et à l’ensemble des acteurs privés marchands ou associatifs.

La gouvernance partagée, quant à elle, fait écho à des enjeux chers à la démarche d’innovation territoriale tel que le collectif, la co-construction, la transparence et la valorisation du potentiel de chacun. L’Avise synthétise cette approche en soulignant que « la gouvernance partagée repose sur la volonté de privilégier les relations de coopération au sein de l’organisation et le souhait de développer l’autonomie des membres. Dans les organisations qui s’inscrivent sur ce chemin, les principes de participation, de collaboration et de trans- parence ne viennent pas seulement « améliorer » la gouvernance, ils la structurent »[1].

La gouvernance partagée consiste ainsi à faire ensemble, associer l’ensemble des parties prenantes à la mise en place d’un projet ou à la gestion d’une structure, et donc à la prise de décision. Elle peut prendre différentes formes et différents degrés d’intensité mais marque une rupture avec l’approche verticale, hiérarchique et personnelle de la gestion d’un projet.

B. Pourquoi cette démarche est-elle essentielle dans un projet d’innovation sociale local ?

Après avoir réalisé un diagnostic des besoins, s’être efforcé de fédérer un collectif citoyen et une communauté de partenaires, il apparaît logique de poursuivre cette démarche d’ouverture et de « faire ensemble » dans l’élaboration de la gouvernance du projet.

Les impacts positifs de la gouvernance partagée sont potentiellement nombreux, parmi lesquels on peut retenir :

  • — Inscrire la gouvernance en phase avec les objectifs d’exemplarité sociale et environnementale du projet, ou de sa charte de valeurs[1] ;
  • — Permettre de valoriser le potentiel de chacun des membres et consolider leur engagement dans le projet[2] ;
  • — Multiplier les regards et ainsi consolider l’assise des décisions et orientations en misant sur l’intelligence collective ;
  • — Accroître la transparence de la prise de décision et du pilotage stratégique ;
  • — Faciliter la capacité du projet à faire face aux imprévus et à s’adapter[3].

Mettre en place une gouvernance partagée dans un projet d’innovation territoriale est également important pour faire en sorte de correspondre au mieux aux besoins, en incluant chaque usager concerné. Elle permet de dépasser le hiatus « qui paie décide » et ainsi de donner au projet ses meilleures chances de produire un impact social significatif. Par ailleurs, il est important de souligner que les parties prenantes à associer ou non et ce à divers degrés possibles, peuvent être très diverses, a fortiori dans un projet d’innovation territoriale (salariés, bénévoles, usagers, partenaires, pouvoirs publics, etc.).

C. Comment mettre en place une gouvernance partagée pour son projet ?

Il n’existe pas de méthode unique, qui fonctionne à tous les coups. Chaque projet est différent et les porteurs devront adapter leur approche en fonction des personnalités, des compétences présentes et de la culture de travail de chacun. Néanmoins, quelques bonnes pratiques éprouvées peuvent être inspirantes.

ANTICIPER LES PRINCIPES | Mettre en place une gouvernance efficiente, transparente et coopérative nécessite une préparation en amont. Les porteurs de projet pourront envisager trois étapes.

DÉFINIR EN AMONT LES PRINCIPES ET VALEURS DU PROJET | Cette étape, partagée avec les différentes parties prenantes du projet, permet d’assurer la cohérence de l’ensemble de sa mise en œuvre et ainsi de maximiser les chances de succès du fonctionnement retenu. En effet, si toutes les parties prenantes sont consultées et s’alignent sur la philosophie générale, chacun aura à cœur de décliner opérationnellement ces principes partagés dans la gouvernance du projet.

S’INSPIRER[1] | Par ailleurs, il est souvent très utile pour les porteurs de projet de s’inspirer de modèles établis, en échangeant avec d’autres porteurs de projet d’innovation territoriale. Avoir en tête les écueils à éviter permet de gagner du temps sur cette phase essentielle.

PRENDRE EN COMPTE LA STRUCTURE JURIDIQUE | S’il convient de ne pas confondre la forme juridique et la gouvernance, le choix de cette dernière aura un impact sur la structuration de la première. C’est pourquoi il est indispensable pour les porteurs de projet d’anticiper le plus en amont possible les grands principes de gouvernance qu’il souhaitera mettre en œuvre pour identifier le véhicule juridique le plus adapté, qui peut être tout autant contractuel (convention de partenariat), que statutaire (création d’une entité juridique) ou mixer les deux, pour permettre des niveaux d’implication différenciés. Si le projet se développe au sein d’une organisation déjà structurée, il conviendra de chercher, en lien avec les services compétents, les meilleurs leviers d’évolution pour tendre vers une gouvernance partagée si ce n’est pas déjà le cas et que cela constitue la volonté du porteur de projet.

CO-CONSTRUIRE LA GOUVERNANCE AVEC LES PARTIES PRENANTES | Au cœur de la méthodologie générale de l’innovation territoriale, la co-construction de la gouvernance avec l’ensemble des parties prenantes est un atout à plusieurs titres. Elle permet notamment de :

  • — Accroître l’adhésion des parties prenantes au projet, l’épanouissement de chacun dans ce dernier et le senti- ment d’appartenance au collectif ;
  • — Favoriser la responsabilité de chacun dans la mise en oeuvre et d’éviter d’éventuels effets de « passager clandestin » ;
  • — Faire correspondre la gouvernance et ses différentes instances aux compétences et envies des parties prenantes.

Il est important de noter que gouvernance partagée n’est pas forcément synonyme d’horizontalité absolue. Il s’agira de trouver, pour chaque projet en fonction de ses spécificités, le bon équilibre entre partage et efficacité des décisions[1].

DOCUMENTER LE CADRE ET LES RÈGLES DE GOUVERNANCE | Si cette étape peut sembler parfois fastidieuse, il est important pour les porteurs de projet de formaliser le système de gouvernance retenu dans un ou des documents. Ces documents doivent être clairs, compréhensibles par tous et diffusés à l’ensemble des parties prenantes concernées. On retrouvera la plupart du temps dans ces documents les principes généraux, les organes de gouvernance, les prérogatives et les responsabilités de chacun, les interactions entre chaque organe et les règles de prise de décision. Il s’agit pour les porteurs de projet, à travers cette démarche de structuration et de transparence, d’assurer l’efficacité de la mise en œuvre et de réduire les risques de frustration dans le futur, tout en veillant à assurer la maîtrise des risques.

ÉVOLUER ET RESTER AGILE | Enfin, les porteurs de projet devront toujours garder en tête qu’un système de gouvernance se doit d’être agile et d’évoluer à l’épreuve de la réalité opérationnelle[1]. Si des dysfonctionnements sont constatés, il est opportun de faire les modifications nécessaires jusqu’à trouver le système optimal. Par ailleurs, le mode de gouvernance pourra également évoluer au fil des changements de personnes qui composent le collectif et pilotent le projet. Cette agilité dans la gouvernance tout comme celle de la programmation d’activités par rapport aux besoins, est souvent un facteur de succès des projets d’innovation territoriale.

2.5 Modèles économiques hybrides

Cette partie s’inspire et reprend les éléments d’un mémoire d’étude[1] dont l’autrice, responsable de l’innovation territoriale à la Croix- Rouge française, est également la rédactrice des ces lignes.

A. Qu’est ce qu’un modèle économique ?

Le modèle économique se définit par la manière dont un projet (ou une organisation) explicite l’origine et le partage de la valeur ajoutée qu’elle dégage. Il désigne le plan par lequel une entité va générer du revenu et de la rentabilité, ou du moins équilibrer ses comptes. Le modèle économique résulte donc du croisement entre un modèle de gestion de charges, nécessaires au bon fonctionnement de l’organisation, et celui d’une génération de revenus (ou ressources) matériels et immatériels, permettant de rendre compte de la valeur économique dégagée par l’entité en question.

La compréhension de ce système et des équilibrages entre coûts et revenus, passe nécessairement par une analyse des parties prenantes et des activités clés de l’organisation : quelle est la nature des activités hébergées / opérées ? par qui le sont-elles ? qui prend en charge le coût associé à l’opération de ces activités ? sur quels réseaux de partenaires s’appuient-ils pour le faire ? à qui les activités sont-elles destinées ? les bénéficiaires contribuent-ils en retour, et si oui, sous quelle forme ?

Le Business Model Canvas[1], grille de lecture popularisée par l’entreprise Strategyzer au début des années 2000, permet au porteur de projet de travailler et de recenser sous une forme visuelle, les réponses à ces différentes questions. Bien que plus adapté au secteur marchand qu’aux secteurs social et médico-social, cet exercice de projection permet de schématiser les principales composantes d’un modèle économique et d’en comprendre les interactions. Il représente ainsi un bon point de départ pour qui veut se lancer dans un projet d’innovation territoriale. Pour aller plus loin, le porteur de projet pourra également s’inspirer du modèle du Business Plan social, par exemple en consultant les travaux de la chaire Entrepreneuriat social de l’Essec[2].

Il est à noter que si des schémas récurrents existent, chaque projet aura un modèle économique qui lui est propre. À des fins de pédagogie, cette partie prend le tiers-lieu comme fil rouge illustratif de la méthodologie à adopter pour concevoir son modèle économique. Cette méthode s’applique néanmoins pour de nombreux autres types de projets d’innovation territoriale.

La représentation du Business Model Canva ne donne en revanche que très peu d’indications quantitatives sur les équilibres économiques rendus possibles par les activités du lieu et n’offrent ainsi que peu de possibilités d’arbitrage et de leviers de décisions quant à l’évolution et l’avenir de l’espace.

Pour pouvoir piloter l’activité du projet, il convient donc de compléter ce travail par l’élaboration de documents économiques comptables, parmi lesquels le compte de résultat prévisionnel et le plan de financement prévisionnel.

B. Comment travailler et modéliser l’économie d’un projet d’innovation territoriale ?

Pour démarrer un projet, il est essentiel d’avoir une bonne visibilité de la structure économique qui lui permettra de financer ses activités. Pour cela, tout porteur de projet devra ainsi travailler à l’élaboration d’un compte de résultat prévisionnel, document à même de traduire l’activité du projet sous un angle économique.

DÉFINITION | Le compte de résultat est un tableau financier, représenté sous la forme d’une liste, reflétant l’activité économique d’une organisation sur une durée appelée exercice comptable (généralement un an). Il synthétise l’ensemble des produits (recettes) et des charges (dépenses) d’un projet (ou d’une organisation) sur la période étudiée, et se solde par un résultat positif (bénéfice) ou négatif (perte). Dans la plupart des cas, les entrepreneurs établissent un compte de résultat prévisionnel sur 3 exercices comptables.

ENJEUX | La construction du compte de résultat prévisionnel pour une prochaine période à venir est un moment essentiel du lancement d’un projet d’innovation territoriale. Il permet à l’équipe de se projeter dans l’activité à venir, c’est-à-dire d’identifier ses marges de manœuvre quant à son développement futur (ex : embauches, lancement de nouvelles activités, travaux d’aménagement, etc.) et de chiffrer ses besoins potentiels en financements complémentaires. Plus qu’un document comptable, il s’agit donc d’un outil de travail et de décision au service de l’équipe opérante, mais aussi des partenaires mobilisés autour du projet. Dans le cas d’un tiers-lieu par exemple, il permet d’objectiver la viabilité financière de ce dernier et d’appuyer les orientations stratégiques quant aux modèles de financement requis (ex : développement d’activités marchandes / prestations de services, revue de la tarification, demandes de subventions complémentaires, contribution des usagers, etc.).

Structure type d’un compte de résultat

COMPTE DE RÉSULTATS
CHARGESREVENUS
CHARGES DE PERSONNELREVENUS AUTO-GÉRÉS
SalairesLoyers
Frais de formationChiffre d’affaires restauration
Prestation de services auprès de tiers
REDEVANCE/LOYERAbonnements, adhésions
Billeterie
CHARGES DE FONCTIONNEMENTLocation d’équipement
Fluides (eau, électricité, chauffage…)
Conciergerie et ménageSUBVENTIONS PUBLIQUES
Sécurité
Maintenance et interventions publiquesMÉCÉNAT / DONATIONS
Programmation événementielle
Fournitures diversesSPONSORING
Communication et marketing
Abonnement téléphone, internet, réseau …
AUTRES CHARGES
Assurance, dotations aux amortissements, frais financiers, etc…
IMPÔTS, TAXES
RÉSULTAT D’EXPLOITATION

Tout l’enjeu est d’obtenir un résultat d’exploitation positif, ou à l’équilibre. Pour ce faire, deux pistes d’optimisation peuvent être explorées :

  • — Réduire les charges, en cherchant par exemple à mutualiser des ressources ;
  • — Augmenter les revenus (cf. ci-après).

Nota Bene : Les projets d’innovation territoriale s’appuient sou- vent sur des contributions volontaires en nature (dons en nature consommés ou utilisés en l’état, prestations en nature, bénévolat, etc.). Depuis le 1er janvier 2020, la comptabilisation des contributions volontaires en nature est obligatoire et doit apparaître dans un tableau en deux catégories, avec d’une part en crédit, les contributions reçues et d’autre part en débit, leurs contreparties. Cette notification, sans impact sur le résultat comptable, souligne la distinction entre les moyens liés à des flux financiers figurant dans le corps du compte de résultat et les moyens dits gratuits. La formalisation de ces contributions dans les comptes, permet de mettre en exergue un des aspects importants, souvent indispensables, du fonctionnement des projets d’intérêt général.

Indispensable à la planification rigoureuse d’un projet, les porteurs sont ensuite encouragés à établir un plan de financement prévisionnel sur autant d’exercices que le compte de résultat. Il mettra en regard :

  • — les besoins en financement du projet (investissements, variation du besoin en fond de roulement, rembourse- ment d’emprunts, etc.) ;
  • — les ressources à disposition pour y faire face (emprunt, apport en capital, capacité d’autofinancement).

Si cette étape peut sembler très technique pour un néophyte, de nombreuses ressources sont disponibles en ligne pour accompagner les porteurs de projet dans cette démarche dont certaines sont mentionnées dans la partie 4 de cet ouvrage.

C. Quelles sont les sources de revenus possibles pour un projet d’innovation territoriale ?

La quantification des produits et des charges sur une période donnée, telle que présentée dans le compte de résultat, révèle souvent la fragilité de l’équilibre financier d’un projet à forte dimension sociale et solidaire. En effet, si les coûts associés à l’opération d’un projet sont tout à fait tangibles et concrets, les bénéfices dégagés (impact sociaux) sont le plus souvent immatériels et non convertibles directement en ressources financières. Cette asymétrie fait peser un risque de déficit sur l’opération et pourrait ainsi menacer sa viabilité.

Il est donc essentiel pour le porteur de projet, de savoir diversifier ses sources de revenus et ainsi augmenter sa résilience économique. On distingue parmi elles trois grandes catégories : les revenus issus des activités propres, les mécanismes de contributions privées et les subventions publiques. Si tous les projets ne les utilisent pas, de nombreux projets d’innovation territoriale atteignent l’équilibre grâce à l’hybridation de ces trois sources de revenus.

Les activités propres

Les activités propres regroupent les activités opérées directement par les équipes du projet (avec ou sans l’aide de partenaires) et qui se matérialisent par la vente d’un produit ou d’un service pour un tiers. Dans le cas d’un tiers-lieu, on peut retrouver parmi les activités courantes d’un espace commun :

  • — la location d’espaces pour des locataires ponctuels ou de plus longue durée (espaces de bureaux et de travail, espaces événementiels, espaces de vente et de restauration, etc.) ;
  • — la restauration (vente de boissons, de repas, réalisation de prestations traiteurs pour des événements, etc.) ;
  • — la location d’équipement (matériel et outils mis à disposition dans le lieu ou hors du lieu, etc.) ;
  • — les cotisations à l’association en charge de l’opération du lieu (souvent en échange d’un accès privilégié aux différents espaces et à certains événements et services proposés par le lieu)
  • — la billetterie (participation aux frais pour des spectacles et événements tenus dans le lieu, etc.) ;
  • — les missions de conseil et d’accompagnement (ateliers d’initiation / formation / cours, prestations de conseil pour des organisations tierces publiques ou privées, etc.).

Le caractère lucratif ou non d’une activité est lié à la nature de l’activité, la concurrence avec le secteur commercial et ses conditions d’exploitation. Il est à rechercher en amont du projet afin d’identifier le régime fiscal des activités et les contributions privées auxquelles les porteurs de projets pourront avoir recours.

Chaque activité pouvant s’inscrire dans un cadre fiscal et comptable différent, les porteurs de projet devront se rapprocher des autorités compétentes ou de leurs services financiers pour le déterminer.

Les subventions publiques

Une grande majorité de projets d’intérêt général et a fortiori d’innovations territoriales ont recours à des fonds publics pour financer, au moins en partie, leurs activités. Qu’elles proviennent de l’Etat, de la région, des communautés de communes, de la ville ou encore de l’Union européenne, les subventions visent à accompagner des projets dont l’utilité sociale et l’intérêt général sont reconnus pour un territoire et / ou une population donnée. Elles ont pour objectif le financement d’activités et d’initiatives qui, par essence, ne peuvent s’appréhender sous le seul spectre de la rentabilité et dont l’objet dépasse la génération de valeur financière.

Elles peuvent servir à l’aménagement initial de l’espace au moment de sa création (investissement), comme supporter une partie des charges de fonctionnement courantes et récurrentes (exploitation). Dans un cas comme dans l’autre, elles sont conditionnées par l’apport de preuves (ex : rapports, bilans,…) fournies par l’opérateur, qui visent à rendre compte de son utilité sociale et de sa contribution aux objectifs, tels que définis dans les appels à projets.

Ces dernières années, de nombreux appels à projets ont été animés par l’Etat et les régions pour faciliter l’émergence d’innovations territoriales partout en France et à toutes les échelles territoriales. Pour bénéficier des ces opportunités, le porteur de projet devra ainsi réaliser une veille autour de ces dispositifs.

Les contributions privées

En complément des revenus propres et des subventions publiques, il est possible d’avoir recours à des contributions privées. Soumises à des régimes fiscaux particuliers, les porteurs de projet devront là encore se renseigner sur le cadre fiscal et comptable à appliquer. Elles peuvent prendre différentes formes :

DONATIONS | Les donations proviennent de personnes individuelles, souhaitant contribuer à travers des ressources matérielles (argent, mobilier, équipement,…) au lancement et / ou à la gestion quotidienne du lieu et ce, sans contrepartie exigée. Elles peuvent aussi prendre la forme du bénévolat, lorsque les individus choisissent de mettre leur temps et compétences au service de l’ouverture ou de l’animation du lieu.

MÉCENAT | Accordé par des associations, des fondations ou des entreprises dont l’ambition sociale résonne avec la proposition de valeur portée par le lieu, le mécénat est souvent conditionné à la poursuite d’objectifs d’intérêt général. Il s’agit d’un don sans contrepartie, qui vise avant tout à financer des activités à but non lucratif. Il peut être de différentes natures : mécénat financier, mécénat de compétences (ex : accompagnement à l’ingénierie, à la construction,…) ou mécénat en nature (ex : matériel, équipement, mobilier, etc.). A noter que cette donation peut, dans la majorité des cas, faire l’objet d’une défiscalisation pour l’organisation émettrice, ce qui représente un levier d’argumentation supplémentaire pour convaincre de potentiels financeurs.

SPONSORING | Le sponsoring ou parrainage désigne une opération à but commercial, à travers laquelle une organisation achète au projet une prestation dont il tirera un bénéfice matériel ou immatériel (ex: image de marque, réputation, visibilité,…). Les prestations peuvent être de différentes natures : valorisation du partenariat à travers la communication (mention du partenaire sur les réseaux sociaux, affichage du nom sur le tiers lieu,..), privatisation de salle, formations…. Pour que le sponsoring soit considéré comme viable, il est essentiel que la tarification proposée pour chacun de ces produits, qui donne lieu au versement d’un paiement, soit cohérente avec celle appliquée à tout autre client. Une opération de sponsoring est en principe assujettie à la TVA.

CROWDFUNDING / FINANCEMENT PARTICIPATIF | Popularisé par l’émergence de plateformes dédiées, ce dispositif fait appel à une communauté de soutiens pour aider au financement du lieu. Il peut donner lieu ou non à des contreparties pour les contributeurs participant à la campagne. En fonction des caractéristiques de l’investissement en crowdfunding envisagé, il peut être possible pour le participant de profiter de certains régimes fiscaux de faveur si toutes les conditions sont remplies.

Revenus autogérés, subventions publiques, contributions privées : la majorité des innovations sociales de territoire ont ainsi recours à ces différentes sources de revenus pour mener à bien leurs opérations. L’hybridation selon des proportions variables d’un espace à l’autre permet de réduire la dépendance de ce dernier à un seul et unique mode de financement et d’ainsi mieux parer à d’éventuels revers conjoncturels.

D. Comment rechercher des financements externes ?

La recherche de financements externes (subventions publiques, donations privées, etc.) s’avère ainsi être une étape souvent indispensable pour tout lancement de projet. Pour ce faire, le porteur de projet peut suivre les étapes suivantes :

  • Constituer un dossier de présentation qui détaille la nature du projet, son ambition et ses objectifs notamment en termes d’impact social et sociétal, ses modalités de fonctionnement, les parties prenantes fédérées autour du tiers-lieu, son modèle économique et ses besoins de financements associés.

Pour avoir une vision exhaustive des besoins de financement, il convient de distinguer deux types de dépenses : les dépenses d’investissement et les dépenses opérationnelles courantes. Contrairement aux charges courantes, les investissements n’ont pas vocation à être récurrents. Il s’agit principalement de frais liés à l’acquisition d’un site, aux travaux et à son aménagement (mobilier, équipement,…). Les besoins de financement d’un tiers-lieu regroupent à la fois les investissements nécessaires à l’ouverture du lieu et les dépenses courantes récurrentes d’une année à l’autre, qui ne sont pas totalement couvertes par les revenus.

Pour solliciter des financements externes, il est essentiel pour le porteur de projet d’expliciter clairement les postes que les montants demandés vont couvrir. L’attribution de subventions, donations, sponsorings est en effet majoritairement rattachée à la prise en charge d’un ou de plusieurs postes de coûts spécifiques, qu’il faudra pouvoir justifier à posteriori.

Par ailleurs, il est à noter que la majorité des financeurs exigent que le modèle économique ne repose pas exclusivement sur leur apport et que toute diversification des sources de revenus sera perçue comme un atout dans l’évaluation du dossier.

Identifier et contacter les partenaires potentiels (publics ou privés) susceptibles d’être intéressés par le projet social et sociétal défendu par le projet (même hors appel à projets spécifique). S’en suivra une série de rencontres et d’échanges pour s’accorder sur toutes les dimensions de l’accord partenarial (montant du financement, nature des éventuelles contreparties, modalités des versements, participation à la gouvernance, communication autour du partenariat, pilotage,…).

Entretenir la relation avec les financeurs. Il s’agit de les tenir au courant de l’évolution du projet, à travers l’organisation de réunions de partages, d’événements, d’envoi de newsletters, de rapport d’activités,…,ou encore de les inviter aux moments clés de la vie du tiers-lieu (inaugurations, anniversaires, assemblées générales,…). L’entretien d’une bonne relation partenariale pourra éventuellement ouvrir la voie à de nouveaux financements par la suite, ou à la mise en contact avec des structures similaires.

2.6 Rechercher et aménager des espaces physiques

A. Les enjeux de la recherche et de l’aménagement d’un espace physique

De nombreux projets d’innovation territoriale ont besoin d’un ou plusieurs espaces physiques pour s’ancrer dans un territoire. Si certaines structures disposent d’espaces disponibles, d’autres porteurs de projets doivent trouver de nouveaux espaces. Une fois ces espaces identifiés, l’enjeu pour les porteurs de projet est de savoir les aménager conformément aux objectifs de leur projet.

La recherche d’un lieu où implanter son projet et son aménagement sont bien souvent des enjeux stratégiques d’une innovation territoriale. La partie ci-après présente quelques bonnes pratiques éprouvées.

B. Les bonnes pratiques

Définir ses besoins et ses contraintes

Que le porteur de projet ait déjà identifié un lieu ou qu’il démarre sa recherche, il est impératif de définir les principes fondamentaux que le lieu devra respecter parmi lesquels on peut retrouver :

La conformité et l’adaptation aux usages Avant de s’investir dans la recherche d’un lieu ou d’organiser son aménagement, il convient de définir en amont les usages que le lieu devra accueillir en fonction de ses publics et activités cibles. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de les impliquer en amont de l’ouverture au moment de la conception des espaces. La mission de maîtrise d’œuvre (chargée de la conduite opérationnelle et technique des travaux) devra donc aussi intégrer une mission de maîtrise d’usage pour s’assurer de la pertinence des espaces au regard des usages. Pour ce faire, les porteurs de projet devront prendre en compte les normes réglementaires, la présence d’étages ou non, la situation géographique (pignon sur rue, centre-ville ou périphérie, etc.), ou encore la luminosité.

De surcroît, dans les projets d’innovation territoriale qui intègrent des espaces physiques, l’hybridité des espaces est essentielle pour maximiser l’impact social (mixité des publics) et la rentabilité économique de chaque espace. Par exemple, la « salle polyvalente » du tiers lieu créé à Paris par Kawaa en partenariat avec Bleu Blanc Zèbre et le soutien des Activités sociales dAG2R LA MONDIALE pour la Retraite complémentaire permet d’accueillir à l’heure du déjeuner de la restauration et le reste du temps des événements grâce à un mobilier modulable (chaises et tables pliantes, bancs rétractables) et du matériel adéquat (sonorisation, vidéoprojecteur, porte anti-bruit).

L’éco-responsabilité Au XXIe siècle, rechercher ou aménager un lieu sans prendre en compte la contrainte environnementale paraît de moins en moins envisageable pour une innovation territoriale. Plusieurs leviers s’offrent au porteur de projet. D’une part, il peut considérer la valorisation et le tri des déchets dans une logique d’économie circulaire. Par ailleurs, une attention particulière peut être portée à l’utilisation de matériaux de réemploi pour l’aménagement de l’espace. Enfin, il pourra veiller à la bonne isolation thermique du bâtiment afin de limiter l’empreinte environnementale du lieu et de réduire les charges.

Il est également important de penser à la santé des personnes travaillant sur le futur chantier. Les matériaux utilisés doivent répondre à des standards A ou A+ dans le cadre de l’étiquetage réglementaire. Il sera par ailleurs pertinent de fixer un objectif en matière de réversibilité. S’il n’est pas toujours possible, en fonction de ses contraintes budgétaires et opérationnelles, de mettre tous ces principes en œuvre, prendre en compte un maximum de ces contraintes permet de tendre vers un projet plus éco-responsable.

L’accessibilité et l’inclusion Il est nécessaire de rendre le lieu accessible et inclusif. Au-delà du respect des réglementations, il s’agit de penser le lieu comme accessible et accueillant pour tous, en particulier pour des personnes en situation de vulnérabilité. La meilleure façon de réussir à répondre à cet enjeu est de les faire participer à la conception du lieu.

Définir son budget

Ensuite, il convient de définir, à partir de son modèle économique, le budget (investissement et engagement) disponible pour l’aménagement et l’exploitation du lieu. Pour ce faire, le porteur de projet peut prendre en considération :

  • — les ratios standards de travaux aux m2 existants qui dépendent de l’état du bâtiment avant travaux (rénovation légère, lourde, etc.) et de sa destination initiale (bureaux, habitation, restaurant, évènementiel, etc.) ;
  • — une enveloppe (généralement au moins 10% du coût des travaux Hors Taxes) pour les honoraires des architectes et autres experts (bureaux d’étude, bureaux de contrôle, etc.). Cette enveloppe est souvent sous-estimée, voire non prévue ;
  • — le coût de loyer ou la redevance nécessaire à l’occupation du lieu (si la structure n’en est pas propriétaire) ;
  • — le coût des charges d’exploitation du lieu ;
    — d’autres coûts (cf. partie 2.5 Modèles économiques).

Si le porteur de projet a déjà identifié un lieu, il pourra à ce moment-là démarrer son aménagement en faisant attention à se conformer à l’ensemble des contraintes réglementaires et administratives en vigueur. Si ce n’est pas le cas, il pourra s’inspirer des conseils ci-après.

Analyser le territoire

Une fois les critères de recherche définis, il peut être pertinent d’analyser le territoire sur lequel s’implante le projet. L’analyse pourra porter sur le contexte réglementaire (plan local d’urbanisme, etc.), socio-économiques (flux de personnes, horaires, etc.) ou encore immobilier (présence de bailleurs, promoteurs, projets existants dans lesquels s’implanter, etc.).

Organiser une veille

Puis, la recherche peut commencer par la mise en place d’une veille du marché immobilier et des potentiels appels à projets du territoire. De nombreuses friches ou bâtiments vacants font de plus en plus l’objet d’appel à manifestation d’intérêt pour y installer des projets au service de la vitalité du territoire.

Se rapprocher des collectivités locales[1]

Enfin, il est toujours utile de prendre attache avec les collectivités locales du territoire qui pourront potentiellement identifier des opportunités foncières ou immobilières disponibles dans des locaux publics ou privés. Même si cette prise de contact ne donne pas lieu à l’identification d’un lieu, elle pourra s’avérer utile pour faciliter les éventuelles démarches d’autorisation d’urbanisme ou de communication à l’ouverture du lieu.

Grille d’évaluation des enjeux d’aménagement de la fabrique des tiers-lieux sociétaux

ENJEUINDICATEURFORMULE DE CALCUL
InvestissementBudget d’investissementSomme des investissements
Construction / RénovationPart des produits de construction et/ou équipements
mis en place issus du réemploi,
du recyclage ou de nature biosourcée.
Taux
Déchets de chantierDéchets de chantier valorisés (recyclés / réutilisés / réemployés).Déchets de chantier valorisés (recyclés / réutilisés / réemployés).
Réversibilité d’usagePatrimoine ayant fait l’objet d’une étude sur la réversibilité d’usagesOui / Non
SantéPart des produits renouvelés constituant les sols / murs / plafonds qui sont labellisés A ou A+L’ensemble des produits renouvelés constituant les sols/murs/ plafonds doivent respecter les seuils suivants : COVT < 1000 μg/m3 Formaldéhyde < 10 μg/m3 Ces produits sont ainsi classés « A+ » dans le cadre de l’étiquetage réglementaire » OU
L’ensemble des produits renouvelés constituant les sols/murs/plafonds doivent respecter les seuils suivants : COVT < 1500 μg/m3 Formaldéhyde < 60 μg/m3 Ces produits sont ainsi classés « A » dans le cadre de l’étiquetage réglementaire.
ParticipationCo-construction du projet du lieu
en amont avec les acteurs locaux
et utilisateurs finaux
Oui / Non

2.7 Documentation et capitalisation

A. Que désignent la documentation et la capitalisation ?

Dans le processus de mise en place et de suivi d’un projet d’innovation territoriale, il est essentiel de récolter toutes les informations nécessaires à la compréhension des différentes étapes ayant permis l’émergence du projet, et celles requises à la préparation des prochaines. Ce rassemblement se fait par le biais de la documentation : celle-ci a pour objet de sélectionner et de classer tous les documents utiles produits par le projet dans le but de les utiliser et / ou de les diffuser par la suite. Les données à récolter sont de différentes natures et c’est justement cette diversité des formats et des supports qui participe à enrichir la documentation.

Un deuxième élément utile à tous les porteurs de projet lors dans leur cheminement est la capitalisation d’expérience. Celle-ci passe par la valorisation d’une expérience afin de pouvoir tirer des enseignements de celle-ci et en dégager des bonnes pratiques[1]. Autrement dit, la capitalisation peut être définie comme la transformation de l’expérience en connaissance partageable dans un format accessible au plus grand nombre[2].

B. Pourquoi est-il important de mettre en place ces deux processus ?

La documentation est indispensable à toutes les étapes du projet, de sa conception à son opérationnalisation.

Mémoire du projet Une documentation régulière et rigoureuse des événements et des différentes évolutions marquantes du projet est très utile afin de conserver une trace de l’expérience passée, et d’ainsi pouvoir planifier, piloter et évaluer l’impact du projet de la manière la plus efficace possible. Elle prend ainsi le rôle d’une mémoire du projet, de son déroulement et des différentes orientations qui lui sont données[1].

Continuité Dans le cas d’un changement de porteur de projet ou simplement d’une nouvelle arrivée dans l’équipe, il est essentiel d’avoir conservé toutes les données nécessaires au transfert de connaissances et d’expérience. Une bonne documentation doit permettre à la personne qui n’est pas familière au projet de pouvoir en prendre le relais, tout en assurant une continuité dans la ligne directrice des opérations et leur temporalité.

Préparer l’évaluation et la capitalisation Documenter précisément son projet permet de préparer une future évaluation d’impact du projet. L’ensemble des données récoltées et des reportings réalisés forment en effet une base solide d’un historique d’éléments sur lesquels le porteur de projet peut s’appuyer pour rendre compte et analyser les résultats de l’expérience passée. Cette base de documents sert également à beaucoup d’autres processus clés du projet, tels que la capitalisation ou la communication interne comme externe.

Quant à la capitalisation, elle est primordiale à la consolidation et l’amélioration en continu du projet. Elle permet aux porteurs de partager le projet avec autrui et de faire en sorte que les connaissances et bonnes pratiques acquises soient utilisables non seulement par lui, mais aussi par d’autres personnes dans le futur[1]. Cet ensemble de savoirs qui sont accumulés lors de chaque étape d’un projet forment un capital savoir-faire qu’il convient de sauvegarder et de valoriser afin d’en tirer le maximum d’enseignements[2]. En synthèse, la capitalisation poursuit ainsi quatre objectifs :

  • — l’amélioration et l’adaptation continues de la programmation des activités proposées, de l’organisation générale et des manières de concevoir le projet afin de ne pas reproduire les erreurs du passé[3] ;
  • — la conservation et la valorisation des bonnes pratiques afin de faciliter la formation de nouveaux collaborateurs et d’améliorer les compétences de l’équipe ;
  • — la promotion et la communication autour du projet d’innovation territoriale ;
  • — la diffusion de l’expérience, des informations et des bonnes pratiques acquises valorisées et rendues accessibles au plus grand nombre, y compris à d’autres projets similaires dans une démarche de pair-à-pair.

C. Comment procéder ?

La documentation

Bien que la mise en place d’une documentation efficace soit capitale, ce processus est trop souvent oublié et mis au second plan dans l’élaboration d’un projet soit par manque de temps[1], soit par manque de méthode. C’est donc au porteur de projet d’anticiper et organiser la démarche. Plusieurs bonnes pratiques présentées ci-après peuvent être utiles aux équipes. Elles sont basées sur l’expérience des auteurs et sur des travaux existants diffusés au grand public.

S’organiser en amont Afin de savoir quelles données il faudra collecter et quand, il peut être utile de prévoir un calendrier de documentation en fixant des objectifs datés à court terme comme à long terme. Ce calendrier pourra se présenter sous la forme d’un diagramme de Gantt et prévoir des temps de bilan intermédiaire avec l’ensemble de l’équipe projet.

Néanmoins, il est impossible de documenter toutes les activités ou tous les processus et étapes de travail engagés par l’équipe. C’est pourquoi il convient, dans toute démarche de collecte de données, d’affiner les objectifs en déterminant les enjeux clés, source de potentielles difficultés futures, pour lesquels une documentation rigoureuse permettrait d’éviter de réduire l’impact de ces futurs problèmes[1]. Le planning devra prévoir pour chaque enjeu la méthode retenue, les sources d’informations à utiliser et la temporalité de la démarche[2].

Sensibiliser et engager Il est toujours utile d’organiser des temps de sensibilisation pour l’ensemble des collaborateurs afin que chacun puisse contribuer à la démarche. Faire preuve de pédagogie en amont permet de favoriser l’engagement de tous dans l’adoption des bons réflexes et de soulager le porteur de projet d’une charge trop importante.

Sélectionner les supports pertinents[1] Cela permet d’éviter deux écueils courants : d’une part celui d’une documentation brouillon et qui ne va pas à l’essentiel et d’autre part celui d’une documentation trop peu remplie, faute de réflexion sur ce qu’elle doit contenir. Tous types de documents peuvent être pertinents pour conserver des données relatives à l’expérience en cours, tant qu’ils permettent de garder une trace du projet et de communiquer. Il peut s’agir de supports traditionnels tels que des procès verbaux (comptes-rendus de réunions, de comités de pilotage…), des rapports sur l’activité ou sur l’environnement du projet, des notes de cadrage, des plans, etc.

Cependant, des documents plus originaux sont les bienvenus car ils enrichissent la documentation en apportant à leur manière des informations précieuses sur le projet : par exemple des reportages photo (avant / après, illustrations…), des films vidéo, une petite gazette, un sondage… Le choix des supports doit enfin se faire en fonction des usagers futurs de cette documentation.

Il est à noter qu’au-delà des documents déjà formalisés, les porteurs de projet pourront également en créer spécifiquement pour garder une trace documentaire, et ainsi adapter le format aux objectifs fixés dans la phase de planification.

Classifier et stocker rigoureusement[1] Le porteur de projet devra veiller à :

  • — rendre la documentation accessible aux parties prenantes qui en ont besoin avec le mode adapté à chacun (lecture / suggestions / édition). Pour stocker les documents, on pourra utiliser une gestion numérique sur un serveur central, par exemple par le biais d’un cloud partagé, ou un archivage papier, en fonction des usages des acteurs concernés ;
  • — unifier la documentation avec les autres acteurs du projet (titre, mise en page, protocole de modification, etc.) ;
  • — déterminer une classification et une structuration du stockage compréhensibles et utilisables par tous.

S’inspirer Dans une démarche d’amélioration continue, il est toujours recommandé d’échanger avec d’autres porteurs de projet afin de s’inspirer de leur propre méthodologie de documentation. Les regards croisés permettent souvent aux deux parties d’identifier des points d’amélioration ou d’envisager de nouveaux supports ou formats pouvant être utiles.

La capitalisation

Bien qu’il n’existe pas de recette unique pour mettre en œuvre un processus de capitalisation, un certain nombre de bonnes pratiques sont pertinentes à mobiliser pour les porteurs de projet. Ainsi, l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO) propose une méthode en plusieurs phases successives[1]. Parce qu’elle est claire, compréhensible par tous et qu’elle fait écho à l’expérience de nombreux porteurs de projet et des auteurs de cet ouvrage, nous avons choisi de résumer cette approche ci-après. Les porteurs de projet sont néanmoins invités à se nourrir d’autres travaux et à sélectionner la méthodologie la plus appropriée aux caractéristiques de leur projet (personnalités et compétences des parties prenantes, outils et données disponibles, ressources financières, disponibilité, etc). Par ailleurs, il convient de souligner que dans un projet d’innovation territoriale, une capitalisation ne sera que plus intéressante si elle est construite à travers des méthodes participatives, qui permettent de confronter les avis des différentes parties prenantes et de s’inspirer des propositions de chacun.

Cadrer la démarche En amont de tout processus de capitalisation, il est important de sélectionner la ou les briques du projet qui font l’objet de la démarche, de clarifier les objectifs recherchés, les publics ciblés et le planning du processus. Par ailleurs, les porteurs de projet devront réunir, notamment grâce au processus de documentation décrit ci-avant, les données relatives à la pratique étudiée (parties prenantes, impacts constatés, freins et difficultés rencontrés, etc.).

Analyser les données À cette étape, le porteur de projet essaie de faire ressortir de l’analyse des données les facteurs de succès et d’échecs de la pratique étudiée. Il tentera d’établir des liens de corrélation, parfois de causalité entre des éléments de contexte et de méthodologie appliqués et les impacts et résultats constatés. Ce travail d’analyse rigoureuse lui permettra d’identifier, de reproduire et de diffuser les éléments qui ont mené à l’aboutissement du projet, en les adaptant à de nouveaux contextes. Cette étape cruciale et parfois difficile peut être menée dans une démarche de co-construction avec le collectif fédéré dans le projet d’innovation territoriale. Ainsi, pourront être organisés des ateliers de travail, des entretiens ou encore des collaborations avec des experts externes à la capitalisation qui pourront apporter un regard plus objectif sur la démarche.

Valoriser les bonnes pratiques en connaissances opérationnelles Cette étape, qui recoupe des méthodes utilisées dans le processus de documentation, consiste à valoriser les résultats obtenus par la pratique en leur donnant le format qui permettra leur utilisation possible et facile par l’ensemble des parties prenantes internes, et parfois externes au projet. Le support doit être adapté au public visé par cette capitalisation : on pourra par exemple envisager un podcast radio, une vidéo, un support écrit, un site web interactif, etc. Le choix des supports sera éclairé par le travail de cadrage établi en amont de la capitalisation.

Diffuser le savoir-faire Il s’agira enfin, pour les porteurs de projet, de diffuser le savoir-faire capitalisé en sélectionnant les bon canaux de communication. En fonction des objectifs de la démarche, des canaux de diffusion grand public (réseaux sociaux, radio, site web) peuvent être envisagés, ou bien des canaux plus ciblés qui ont l’avantage de permettre une plus grand interaction et parfois une meilleure appropriation des publics cibles (entretiens individuels, atelier collectif interne au projet, notes papier, emails, etc.). Dans un projet d’innovation territoriale, le mélange de ces deux types de canaux permettra d’atteindre à la fois les objectifs de partage d’expérience chers à la démarche tout en permettant au projet de s’améliorer et de gagner en efficacité lors d’ateliers privilégiés avec l’équipe. Enfin, il convient de garder à l’esprit que si l’expérience montre que le savoir-faire capitalisé et l’évolution des pratiques induites ne produisent pas les effets escomptés, il conviendra de reprendre le processus de capitalisation pour de nouveau faire évoluer les pratiques au service du succès du projet. C’est pourquoi le processus de capitalisation est continu, itératif et doit conserver l’agilité caractéristique des projets d’innovation territoriale.

2.8 Évaluation d’impact social

L’évaluation d’impact est une démarche essentielle d’un projet d’innovation territoriale. De nombreux travaux et outils ont d’ores et déjà été produits pour encapaciter les porteurs de projet. Parmi eux, deux travaux sont ici à mentionner. D’une part le Petit Précis de l’Évaluation de l’Impact Social n°2, co-produit par l’Avise, le Laboratoire Évaluation et Mesure de l’Impact Social et Environnement de l’ESSEC et le Mouvement Impact France[1]. D’autre part, les travaux du réseau Social Value France, coordonné par l’Avise, et en particulier le compte-rendu d’une réunion plénière organisée autour de la dimension territoriale de l’impact[2].

La partie ci-après propose une première approche du champ de l’évaluation d’impact social en reprenant les éléments de ces deux publications. L’ensemble des auteurs de cet ouvrage remercie chaleureusement les auteurs de ces publications d’avoir donné leur accord pour partager dans ce guide ces outils et recommandent vivement au lecteur d’aller approfondir le sujet en les consultant.

A. Qu’est ce que l’évaluation d’impact ?

Le Conseil supérieur de l’ESS propose une définition de l’impact social comme : « l’ensemble des conséquences des activités d’une organisation tant sur ses parties prenantes externes, directes ou indi- rectes de son territoire, et internes, que sur la société en général »[1]. Ainsi, la mesure d’impact social s’intéresse à la valeur créée par les activités d’utilité sociale. Elle dépasse la dimension uniquement économique et elle se focalise dès lors sur les autres conséquences induites par ces activités.

S’il existe plusieurs définitions de ce qu’est l’impact social d’un projet, nous privilégions l’approche suivante qui consiste à définir l’impact comme « un effet à long terme dans la chaîne des résultats. Dans cette approche, l’impact est le dernier maillon de la chaîne de valeur, la conséquence d’un processus mis en œuvre dans le cadre d’une intervention. Autrement dit, il s’agit du ou des effets qui correspondent à l’objectif global, à la finalité de l’action évaluée (à distinguer des résultats à court-terme ou intermédiaires). Cette vision est retranscrite dans la chaîne de valeur de l’impact, c’est-à-dire la manière dont les ressources et activités mises en œuvre par le projet génèrent des réalisations, des résultats et, en bout de chaîne, des impacts[2] ».

Les travaux de l’Avise soulignent que l’impact social peut se décomposer en plusieurs dimensions constitutives :

  • —l’individu (cadre et conditions de vie, autonomie, capabilités, etc.) ;
  • — l’environnement (sensibilisation, préservation, adaptation au changement climatique, etc.) ;
  • — la société (lien social, citoyenneté, équité territoriale, diversité culturelle, etc.) ;
  • — l’économie (hausse de l’emploi, création de richesses ou de services, etc.) ;
  • — la politique (innovation, représentation citoyenne, etc.).

« L’évaluation de l’impact social peut être définie comme une démarche qui vise à décrire, analyser et objectiver les effets d’une initiative dont la finalité est d’apporter une réponse à des besoins sociaux identifiés chez des individus ou groupes d’individus.

En termes simples, évaluer l’impact social d’un programme, c’est se poser la question suivante : Que se serait-il passé pour nos parties prenantes en l’absence de l’intervention évaluée ? Ou, formulé autrement, quelle différence l’intervention a-t-elle faite pour nos parties prenantes ? »[1].

B. Pourquoi est-il important d’évaluer son projet ?

En synthèse, évaluer l’impact social de son projet, peut servir deux finalités :

D’une part, démontrer l’impact social et ainsi :

  • — Développer ou renouveler des sources de financement (subventions, dons, mécénat, …) ;
  • — Rendre des comptes à des partenaires publics et privés ;
  • — Communiquer sur le projet auprès du grand public ;
  • — Porter un plaidoyer institutionnel.

D’autre part, améliorer son projet en :

  • — Se dotant d’un outil de pilotage opérationnel et stratégique ;
  • — Donnant la parole aux personnes bénéficiaires de l’action ;
  • — Mobilisant et motivant les acteurs engagés (bénévoles, salariés, …) ;
    — Identifiant les points de blocage qui peuvent ralentir la bonne mise en œuvre du projet.

C.Comment procéder ?

Les étapes de l’évaluation d’impact

« L’évaluation d’impact social se déroule la plupart du temps en 5 étapes : cadrer, concevoir, collecter, analyser et utiliser les résultats. Bien que chronologiques, celles-ci peuvent en partie se chevaucher dans le temps. En effet, des résultats intermédiaires peuvent être utilisés alors que l’évaluation continue, ou faire l’objet d’itérations (une première collecte de données peut amener à modifier les cadres de l’évaluation pour une deuxième collecte avant analyse ou utilisation des résultats) »[1].

Le Petit Précis 2 détaille chacune de ces étapes[2].

1. CADRAGE ET DÉFINITION DES OBJECTIFS
2. CONCEPTION DE L’APPROCHE OU DU RÉFÉRENCIEL D’ÉVALUATION
3. COLLECTE DES DONNÉES
4. ANALYSE DES DONNÉES
5. UTILISATION DES DONNÉES

Afin de se lancer dans l’évaluation de l’impact social de son projet, le porteur de projet pourra s’inspirer des bonnes pratiques suivantes, éprouvées sur le terrain :

TOUT AU LONG DE LA DÉMARCHE—Désignez un référent pour l’évaluation
—Impliquez vos parties prenantes internes et externes
—Avancez pas à pas et cherchez les petits succès
—Documentez chaque étape
EN AMONT—Commencez avec une évaluation à la mesure de vos moyens
—Formez vos équipes
—Choisissez si vous réalisez cette évaluation en interne ou avec l’aide d’un évaluateur externe
CADRAGE—Définissez précisément pourquoi vous voulez faire une évaluation et à quoi elle va servir
—Précisez à qui l’évaluation sera utile, en interne et en externe
—Choisissez une méthode d’évaluation en cohérence avec vos objectifs
CONSTRUC- TION DE L’APPROCHE—Concentrez-vous en priorité sur les effets importants
—Définissez des indicateurs SMART : Spéciques, Mesurables, Accessibles, Réalistes, Temporellement définis
COLLECTE DE DONNÉES—Construisez des outils adaptés au public que vous allez interroger et aux informations que vous recherchez
—Testez vos questionnaires auprès d’un échantillon du public cible
—Mixez approche qualitative et quantitative pour explorer et objectiver vos impacts
ANALYSE DE DONNÉES—Définissez un plan d’analyse pour identifier les questions auxquelles vous souhaitez des réponses
—Assurez vous de la fiabilité de vos résultats (ordre de grandeur, comparaison avec des projets équivalents)
UTILISATION DES RÉSULTATS—Soyez transparent sur la méthode et les limites de l’étude
—Restituez les résultats dans un format adapté à la cible visée et aux bénéficiaires et personnes ayant participé à l’étude, dans la mesure du possible
—Assurez l’approbation des résultats par vos équipes en les associant à la réflexion sur les enseignements à tirer de l’étude

D. Focus sur l’impact territorial

Trois échelles pour l’impact territorial

Le réseau Social Value France[1], animé par l’Avise, s’est penché sur la notion d’impact territorial en juillet 2021. Il a identifié trois échelles qui permettent d’étudier l’impact territorial, en soulignant l’importance de définir en amont la ou les échelles que l’on souhaite évaluer :

—Au niveau d’une seule structure (échelle individuelle) : la notion d’impact territorial se réfère à la complémentarité et à la plus-value que peut avoir une structure sur un territoire. L’objectif est de chercher à savoir comment l’action d’une structure renforce la dynamique territoriale et la façon dont elle vient créer ou transformer les ressources d’un territoire donné.

— Au niveau de plusieurs structures (échelle collective) : l’impact territorial vient chercher à évaluer ce qui émerge d’un dialogue territorial multi-acteurs (synergies, dynamique partenariale, action locale, dynamique coopérative, etc.) en révélant les différents impacts d’une coopération entre acteurs sur un territoire donné.

— Au niveau du territoire (échelle macro) : l’impact territorial peut enfin être abordé sous la dimension globale, systémique et transversale du territoire. L’impact territorial intègre ici une multitude d’impacts territoriaux qui peuvent être d’ordre social, économique et environnemental. »[2]

Dans cette même plénière, le réseau Social Value France a ensuite identifié cinq grandes dimensions permettant de caractériser l’impact territorial, présentées ci-dessous. Si celles-ci ne sont pas exhaustives, elles sont néanmoins un bon point de départ pour appréhender la notion d’impact territorial :

La dimension économique On regroupe sous cette catégorie, l’ensemble des impacts d’un projet contribuant à développer une dynamique économique d’un territoire permettant de développer l’emploi, favoriser la création de richesses et de services, ou épargner certains coûts à la société.

La dimension sociale Cette dimension intègre « ce qui vise à réduire les inégalités entre les personnes ou les groupes de personnes sur un territoire »[1]. Il peut s’agir :

  • — « de répondre à des besoins sociaux non couverts sur un territoire (par exemple : amélioration du bien-être et de la qualité de vie des habitants) ;
  • — de renforcer les liens entre les habitants d’un même quartier (lien intergénérationnel, au sein d’un même immeuble, etc.). »[2]

La dimension environnementale « Le respect de l’environnement a une utilité sociale aujourd’hui, mais également pour les générations futures. L’utilité environnementale est donc une dimension à part entière de l’utilité sociale[1] ». On y retrouve :

  • — les actions de protection de l’environnement : préservation de la biodiversité, diminution de l’empreinte carbone,…;
  • — l’éducation à l’environnement : sensibilisation, … ;
    — les pratiques respectueuses de l’environnement : tri sélectif, covoiturage,…

La dimension collective Cette dimension concerne les interactions « qui existent entre les personnes, groupes de personnes et les modes de fonctionnement du collectif [1]». Les impacts en lien avec cette dimension peuvent être les suivants :

  • — « dialogue entre acteurs d’un même territoire ;
  • — développement de formes de coopération entre acteurs publics, privés et associatifs ;
  • — renforcement des « proximités territoriales » (réseaux d’acteurs, filières, …) ;
  • — conséquence de l’implantation d’une nouvelle structure dans l’écosystème. »[2]

La dimension culturelle On y retrouve :

  • —« le développement ou le renforcement du sentiment d’appartenance au territoire cadre et les conditions de vie ;
  • — la meilleure incarnation / valorisation des dynamiques locales ;
  • — l’émergence ou le développement d’identités territoriales. »[1]