Lorsqu’on se lance dans un projet d’innovation territoriale tel qu’un tiers-lieu, un dispositif itinérant ou encore une plateforme d’entraide, la volonté est bien souvent celle de réunir plusieurs types d’activités qui répondent à différents besoins locaux. Si parmi les besoins prioritaires identifiés dans la phase de diagnostic de territoire, une thématique peu familière du porteur de projet émerge et qu’il souhaite l’intégrer dans ses objectifs d’impact, il est indispensable pour lui d’en comprendre les enjeux, les contraintes et les défis. Par ailleurs, un projet d’intérêt général, s’il se veut inclusif et vecteur d’externalités positives pour le territoire, doit être en capacité d’intégrer les enjeux de différents publics et divers besoins sociaux.
Cette partie propose, pour huit thématiques du secteur social, sanitaire et médico-social, une première approche des enjeux et contraintes devant être pris en compte dans son projet d’innovation territoriale, afin d’éviter les écueils courants et de maximiser l’impact social des projets. Elle souligne également la façon dont les projets d’innovation territoriale peuvent pertinemment répondre aux défis rencontrés par le secteur. Enfin,à titre d’illustration, le lecteur y trouvera des exemples concrets d’initiatives de terrain, qui pourront l’inspirer dans la construction de son projet.
Nota Bene : Un certain nombre de secteurs présentés ci-après sont réglementés sur les plans juridique, fiscal, financier ou encore immobilier. Pour développer des solutions, les porteurs de projets devront ainsi se rapprocher des services compétents pour appréhender la faisabilité et le cadre de mise en œuvre de ces dynamiques.
3.1 Alimentation
A. Qu’est ce que bien se nourrir ?
Dans un contexte marqué par les crises sociales, sanitaires, écologiques, appréhender le secteur alimentaire par le prisme du “bien se nourrir” permet de saisir la pluralité et l’intersectionnalité des enjeux. Il s’agit à la fois de pouvoir avoir accès à de la nourriture saine, de qualité et en quantité suffisante de manière à ce que chaque individu puisse répondre à ses besoins vitaux, mais il s’agit aussi d’opter pour une alimentation durable, dont la production prend en compte les enjeux écologiques et l’augmentation des besoins liés à la démographie croissante.
Afin de ne pas creuser davantage les inégalités, les solutions (politiques ou opérationnelles) visant à développer une agriculture et une alimentation durable (moins émettrice de CO2, respectueuse des sols, locale et de saison) doivent également prendre en compte l’impact sur le budget alimentaire des familles et mettre en place le cas échéant des mesures compensatoires.[1]
Les dépenses d’alimentation sont en effet un marqueur d’inégalités sociales. Ainsi, en 2017, les 20 % des ménages les plus modestes consacraient en moyenne 18,3% de leur consommation aux dépenses d’alimentation, contre 14,2% pour les 20 % des ménages les plus aisés.[1]
Autre élément à garder à l’esprit : en conséquence du changement des modes de vie et de consommation, le temps consacré à la préparation des repas a diminué de 25% entre 1986 et 2010, ce qui a eu comme conséquence une augmentation significative des dépenses en plats préparés (+4,4% par an de dépenses en plats préparés depuis 1960).[1]
B. Quelques enjeux du « bien se nourrir »
Selon le baromètre Ipsos/Secours Populaire Français de la pauvreté, il est estimé qu’en France, une personne sur cinq a sauté certains repas pour des raisons financières en 2021[1]. Les jeunes, dont la précarité économique a été renforcée durant la crise, ont été particulièrement affectés puisqu’un tiers des moins de 35 ans seraient concernés, tout comme 39% des ménages dont le revenu du foyer ne dépasse pas 1200 euros par mois.
Autre indicateur inquiétant, 5,5 millions de personnes ont bénéficié de l’aide alimentaire en 2017, une augmentation de plus de 100% par rapport à 2009[1]. Depuis la crise de la Covid-19, le nombre de personnes qui ont recours à des paniers repas en France ou autre forme d’aide alimentaire semble en augmentation. De surcroît, la distribution alimentaire qui permet de gérer l’urgence et de satis- faire le besoin élémentaire de se nourrir doit également relever le défi de la qualité et de la distribution, au plus proche des besoins des personnes vulnérables.
Par ailleurs, chaque année en France, près de 20% de la nourriture produite est jetée[1] avant d’être consommée, et ce tout au long de la chaîne de production, distribution et consommation, soit environ 150 kg de nourriture par an et par personne. L’alimentation représente également un quart des émissions carbone du pays.
C. L’innovation territoriale comme levier du bien se nourrir
Face à ces enjeux, l’échelle territoriale représente un formidable levier d’expérimentation pour imaginer l’alimentation de demain. Que ce soit à travers le développement d’une production alimentaire locale, des projets d’insertion professionnelle par l’agriculture ou la restauration ou bien encore la création de moments de convivialité et de partage à travers l’alimentation, les possibilités sont nombreuses.
Convaincues de la nécessité de redonner vie aux villages, de nombreuses associations locales recommencent à commercialiser des produits en circuit-court ou proposent des offres de petite restauration dans les zones isolées. Une manière de recréer du lien social tout en valorisant les savoir-faire locaux. Proches des habitants, les organisations locales peuvent également sensibiliser le grand public à la problématique du gaspillage alimentaire à travers des sessions ouvertes et collectives de cuisine de fruits et légumes invendus ou à travers l’accès à des paniers de légumes hors calibres à moindre coût.
Ainsi, les porteurs de projets d’innovation territoriale dans le champ alimentaire peuvent mettre en place divers dispositifs pour répondre aux enjeux du secteur. Ci-après, quelques bonnes pratiques et idées en guise d’inspiration.
CRÉER DU LIEN SOCIAL ET RÉPONDRE AUX VULNÉRABILITÉS Pour faire face aux vulnérabilités croissantes des populations, créer des espaces d’accueil sécurisés et dignes permet de prévenir les situations d’urgence, notamment en ce qui concerne la précarité alimentaire. Que ce soit à travers la distribution de repas dans la rue, dans des lieux dédiés ou encore à travers la livraison à domicile, l’aide alimentaire est d’ores et déjà déployée sur tout le territoire et orchestrée par de nombreuses organisations sociales.
Pourtant, afin de faire face aux besoins croissants des populations, notamment depuis la pandémie, de nouveaux modèles sont à imaginer. L’alimentation est un terreau fertile à la rencontre et la création de liens sociaux et de solidarité. Afin de recréer du lien social entre les personnes, favoriser les réseaux de solidarités et permettre aux personnes accompagnées de s’engager dans un parcours de vie résilient, divers dispositifs peuvent être mis en place avec comme porte d’entrée, le besoin alimentaire. Au sein de tiers-lieux en France et à l’international, de nombreuses expérimentations ont ainsi été réalisées, comme par exemple le modèle du repas suspendu qui permet à chacun de payer selon ses moyens et de mélanger les publics au sein d’un même établissement, bouleversant les frontières entre aidants et aidés et permettant d’accueillir les personnes au-delà de la seule distribution alimentaire.
L’ALIMENTATION COMME LEVIER D’INSERTION Les métiers de l’agro-alimentaire représentent une formidable opportunité d’insertion professionnelle. Partout en France, de nombreuses associations proposent de mettre la création d’emplois au service de projets alimentaires plus inclusifs, qui contribuent à la résilience du territoire. Qu’il s’agisse de reterritorialisation du système alimentaire ou d’agroécologie, la transition alimentaire par le prisme de l’innovation territoriale peut permettre d’offrir des emplois à ceux qui n’en ont pas, à travers le maraîchage biologique ou raisonné en insertion, l’accompagnement à la création de micro-entreprises de commercialisation de produits alimentaires locaux et de saison ou bien encore à travers l’emploi dans des restaurants pédagogiques.
SENSIBILISER ET PROMOUVOIR LE « BIEN SE NOURRIR » De par leur rôle d’agrégateurs, les projets d’innovation territoriale peuvent devenir des espaces de rencontre et de sensibilisation à la question du « bien se nourrir ». En zone périurbaine ou rurale, la réhabilitation de fermes ou d’anciens terrains agricoles en lieux de vie permet pour certaines associations d’alterner agroécologie et pédagogie, de revêtir une dimension sociale et solidaire forte, et d’attirer des publics qui n’ont pas accès à une alimentation de qualité. Plus largement, il est possible d’intégrer à presque n’importe quel projet d’innovation territoriale, une dimension de sensibilisation à la question de l’alimentation. Ci-dessous quelques exemples de modalités pour ce faire.
- — La promotion d’une alimentation en circuits-courts, locale et avec une juste rémunération des producteurs. De nombreuses initiatives existent déjà, comme les réseaux des AMAP et ses dérivés, ou encore les labels qui garantissent des conditions sociales et économiques justes pour les producteurs. Une manière de recréer du lien entre consommateur et producteur et aller plus loin que le simple acte d’achat ;
- — La sensibilisation à l’agroécologie, l’agriculture biologique ou raisonnée. Des formations de sensibilisation à la permaculture ou à l’importance des sols sont organisées par de nombreuses organisations, pour former les populations en zone rurale ou en ville, à travers les pratiques de jardins partagés par exemple ;
- — Les initiatives de lutte contre le gaspillage alimentaire et la sensibilisation aux fruits et légumes « hors calibre ». De nombreuses initiatives existent également, soit à travers la récupération par des associations des invendus alimentaires, soit grâce au développement d’applications permettant aux personnes qui le souhaitent d’acheter de la nourriture qui aurait autrement été jetée, à prix réduits.
Si cette synthèse ne saurait rendre compte de la formidable diversité de dispositifs possibles et de l’ensemble des enjeux à traiter, elle reflète le fort potentiel de l’innovation sociale locale pour permettre à un territoire de tendre vers des conditions d’alimentation, de production et d’interactions de l’écosystème alimentaire résilientes et durables.
3.2 Alimentation
A. Santé ? De quoi parle-t-on ?
Le préambule de la constitution de l’Organisation Mondiale de la Santé[1] consacre en 1946 la santé comme un droit fondamental de tout être humain, et la définit de manière globale comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».
En 1986, la Charte d’Ottawa développe les fondements de la promotion de la santé centrée sur une approche positive, la santé étant décrite comme « une ressource de la vie quotidienne et non le but de la vie ; il s’agit d’un concept positif mettant en valeur les ressources sociales et individuelles, ainsi que les capacités physiques ».
Il est essentiel de garder à l’esprit que pour améliorer l’état de santé d’un individu ou d’une population, il faudra prendre en compte tant la santé physique et la santé mentale, que l’environnement et les ressources sociales dont ils disposent.
On appelle déterminants de santé les facteurs qui influencent, positivement ou négativement, l’état de santé d’une personne. Ces déterminants peuvent être classés selon une échelle allant des caractéristiques liées à la personne (biologie, habitudes de vie, etc.), à celles de son environnement (famille, emploi, vie sociale…) jusqu’au contexte macro (état du système de santé publique, contexte législatif, etc.)[1]. Ces déterminants peuvent donc être de diverses natures (physiques, sociaux, économiques, etc.). L’OMS propose la définition suivante : « Les déterminants sociaux de la santé sont les circonstances dans lesquelles les individus naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent ainsi que les systèmes mis en place pour faire face à la maladie, ces circonstances étant déterminées par plusieurs forces: l’économie, les politiques sociales et la politique[2]».
Finalement, appréhender la notion de santé nécessite de l’envisager comme un processus continu, dont chacune des composantes est essentielle :
- — la promotion de la santé : processus qui permet aux populations d’améliorer la maîtrise de leur santé et de ses déterminants[1] ;
- — la prévention : « ensemble des mesures visant à éviter ou réduire le nombre et la gravité des maladies, des accidents et des handicaps[2] » ;
- — le soin : qui s’appuie sur divers établissements et dispositifs (ambulatoires, sanitaires, médico-sociales ou sociales) ;
- — la réduction des risques : stratégies ayant pour objectifs de limiter les risques et les dommages sanitaires ou sociaux dans un domaine spécifique, parfois lié à une problématique déjà installée (sexualité, addictions, épidémie, etc.).
En filigrane enfin, il est important de rappeler que l’approche glo- bale de la santé doit intégrer à la fois le soin (« cure » en anglais) et le prendre soin (« care », en anglais), notions complémentaires pour limiter la maladie et ses conséquences, tout en contribuant au bien-être et à la qualité de vie des individus.
B. Les défis de la santé dans les territoires
Il est bien entendu trop complexe de résumer en quelques lignes de manière exhaustive les défis d’une notion aussi large que celle de la santé. Cette partie vise donc à donner aux porteurs de projet un aperçu de quelques défis qui pourront ensuite être adressés par l’innovation territoriale. D’abord, la diversité des impacts des déterminants sociaux de la santé sur les individus implique de fortes inégalités sociales de santé. Ces dernières peuvent être définies comme « toute relation entre la santé et l’appartenance à une catégorie sociale[1] ». L’exemple le plus criant est l’écart d’espérance de vie entre les catégories socio-professionnelles, allant jusqu’à 13 ans chez les hommes entre les populations les plus aisées et les plus modestes[2] (et bien supérieur pour les personnes en situation de grande exclusion). Les inégalités sociales se mesurent également dans l’espérance de vie en bonne santé, qui reproduit le même schéma. Ces inégalités reflètent ainsi les inégalités observées dans les champs économiques et sociaux. Autre exemple, une étude de 2016 a montré qu’en cas d’infarctus du myocarde, d’accident vasculaire cérébral ou d’insuffisance cardiaque, « les taux de patients hospitalisés augmentent avec le désavantage social[3] ».
Ces inégalités de santé concernent d’ailleurs l’ensemble des populations en situation de vulnérabilité, sur des critères qui ne sont pas seulement financiers[4]. L’enjeu de réduire ces inégalités est ainsi au cœur des défis contemporains du secteur, et implique de pouvoir les mesurer, déterminer avec précision ses causes, et apaiser structurellement les fractures.
À ces inégalités sociales sont fortement liées les inégalités territoriales de santé. Si elles peuvent recouper en partie les mêmes déterminants sociaux, elles sont également la conséquence de facteurs géographiques et révèlent une fracture territoriale observée depuis longtemps en France[1]. Par exemple, en observant les chiffres de la mortalité avant l’âge de 65 ans (autrement appelée « prématurée »), on constate de nombreuses différences géographiques. Les régions Bretagne, du Nord et du massif central affichent de plus grand taux de mortalité prématurée alors que les régions Ile-de-France, de l’ouest et du sud du pays semblent afficher des chiffres beaucoup moins élevés[2]. On retrouve d’ailleurs ces fractures à l’échelle locale, puisqu’il a été démontré que la surmortalité s’accentue dans les périphéries (départements éloignés du département siège, confins des départements, etc.). Ces inégalités territoriales se traduisent par une multitude de problématiques comme la très inégale répartition de l’offre de santé (équipements et professionnels) où les banlieues des villes et les zones rurales sont plus fortement dotées que les villes[3]. D’après une étude de 2017, 8% de la population française habitait dans un désert médical[4]. Or la distance d’accès aux soins est un facteur discriminant : l’éloignement des services, de l’emploi, des structures d’aide et de soutien constitue une perte de chance et influence négativement la santé des personnes.
Enfin, parmi les nombreux défis du monde de la santé, il est primordial de souligner l’importance de la prévention dans les parcours de soins, pour améliorer la santé des individus et des populations, de manière précoce, et pour un effet à long terme. L’approche préventive occupe encore une place trop réduite dans les politiques publiques de santé en France. En témoigne le fait que seulement 2% du budget dédié à la santé était fléché sur la prévention en France en 2017[1]. Ce chiffre illustre la primauté accordée au curatif sur le préventif (constat partagé dans le reste du monde de manière générale). Des actions de prévention accrues permettraient de limiter le développement et l’aggravation de pathologies et de vulnérabilités dans le futur[2], en agissant directement sur les facteurs de risques (tabac, conduites addictives, risques psychosociaux au travail, obésité, exposition environnementale, etc.). Dans cette perspective, la société civile a depuis longtemps été très active (Planning Familial, groupes d’auto-support, interventions en milieu scolaire, associations sportives, etc.) et aura pour sûr un rôle grandissant dans le développement de ces actions.
De manière plus générale, cet enjeu fait écho à celui du parcours patient et de la coordination des acteurs de la santé au sens large. Agir sur la santé et ses déterminants dans une approche médico-psycho-sociale et environnementale est essentiel pour appréhender la santé globale d’une personne et lui permettre d’intégrer un parcours de soin coordonné[1], résilient et durable[2], levier majeur de réduction des inégalités. Il s’agit alors de renforcer l’articulation entre l’hôpital, la médecine de ville, le secteur médico-social et le secteur associatif, qui tous ont un rôle dans l’identification des vulnérabilités et le suivi des personnes.
C. Innovations territoriales et santé
Face à ces défis, il apparaît qu’une approche territoriale de l’innovation sociale permet d’appréhender de nombreux enjeux pour apaiser les fractures et contribuer à améliorer la prise en charge sanitaire des personnes. Sans pouvoir en donner une vision exhaustive, les porteurs de projets pourront s’inspirer des dispositifs et pratiques suivants. Il est bien entendu à noter que toute activité liée au soin est réglementée et soumise à autorisation des Agences Régionales de Santé. Il conviendra alors de se renseigner auprès des pouvoirs publics sur les contraintes et impératifs juridiques et financiers pour pouvoir les mener avec rigueur.
L’ensemble de ces actions, peuvent améliorer la prise en charge sanitaire au niveau local et produire des impacts systémiques sur les territoires dans lesquels elles s’implantent.
DÉVELOPPER DES DISPOSITIFS D’ALLER VERS Afin de réduire les distances physiques et symboliques entre les personnes et l’offre de soin, plusieurs dispositifs d’innovation territoriale existent et sont à développer. Il s’agit de mettre en œuvre, à l’échelle d’un territoire, des nouvelles approches adaptées aux besoins et pratiques des publics concernés. Cela peut prendre plusieurs formes :
- — développer des dispositifs mobiles ambulatoires et agiles allant à la rencontre des personnes isolées ou éloignées avec des professionnels de santé et des professionnels de l’orientation, afin de faciliter le dépistage, le soin en première intention et l’information en santé. La modélisation de ce type d’action doit reposer sur un diagnostic de territoire rigoureux, associant dès le démarrage les parties prenantes institutionnelles et opérationnelles. En parallèle, une étude des besoins et attentes, co-construite avec les personnes directement concernées vient compléter le diagnostic. Plus les besoins spécifiques des personnes au niveau local sont compris et identifiés, plus les actions entreprises auront de chance de trouver leur public et l’impact social significatif qu’elles ambitionnent d’avoir ;
- — développer des dynamiques de décloisonnement des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux (ex : tiers-lieux en EHPAD), afin de faire émerger des services à domicile et d’aller à la rencontre des publics qui ne sont pas forcément en institution.
DÉVELOPPER LES SYNERGIES ET LA COORDINATION LOCALES DES ACTEURS DE LA SANTÉ Afin d’améliorer la coordination des acteurs de la santé au niveau local, les démarches d’innovation territoriales peuvent, grâce à leur capacité à fédérer un collectif large d’acteurs et à cartographier les parties prenantes d’un projet, catalyser de nombreuses synergies partenariales. Ces synergies peuvent, entre autres, consister à :
- — mettre en lien les différents acteurs du social et de la santé au sein d’instances de dialogue permettant d’associer la société civile à la prise en charge et l’orientation des personnes dans un parcours de soin coordonné, tout en accompagnant les éventuelles problématiques sociales susceptibles de fragmenter les parcours ;
- — favoriser, en miroir du diagnostic des besoins, le déve- loppement de collaborations permettant de répondre à des problématiques spécifiques et non-couvertes, en misant sur la complémentarité des expertises et des compétences, voire en mutualisant les ressources ;
- — favoriser la connaissance des populations et de l’état de santé d’un territoire en mettant en commun des données sanitaires et socio-démographiques. Il s’agit alors de mieux repérer les besoins et les vulnérabilités, les cartographier, afin de différencier les réponses en fonction des réalités et ressources locales. Le partage de retours d’expériences, dans une démarche de documentation et de capitalisation avec d’autres territoires peut également être bénéfique pour le projet en question ;
- — promouvoir des espaces mixtes et participatifs, regroupant des acteurs du lien social, de la prévention et du soin, pour en faire des lieux promoteurs de santé, créateurs de lien et diffusant des ressources et informations en matière de santé. Ces démarches (tiers-lieux, maisons de santé, etc.) permettent de multiplier les portes d’entrée possibles pour les patients et de les intégrer à un parcours de soin plus large que leur problématique initiale.
AMÉLIORER LA PROMOTION DE LA SANTÉ ET LA MEDIATION EN S’APPUYANT SUR LES COMMUNAUTÉS LOCALES Les projets d’innovation territoriale (lieux, collectifs, plateformes numériques) sont des espaces privilégiés pour développer des actions de promotion de la santé et de médiation. Il s’agit de (re)placer les personnes concernées au cœur des actions de santé : en les écoutant pour qualifier leurs besoins et en les orientant de manière efficace ; en accompagnant leur mobilisation collective pour définir elles-mêmes des réponses à leurs problématiques, en participant activement à leur mise en oeuvre et à leur évaluation ; en valorisant et en capitalisant leur expérience personnelle face à la maladie, au recours au système de santé, etc.
Les actions de promotion de la santé peuvent recouper diverses thématiques (alimentation saine, prévention de maladies, santé sexuelle, etc.) et poursuivre différents objectifs (informer, donner envie aux personnes éloignées de s’insérer dans un parcours de soin, outiller les personnes, etc.).
Quant à la médiation, elle prend tout son sens pour intervenir auprès des personnes les plus éloignées de la santé et les plus exclues. Les actions qui en découlent sont d’autant plus efficaces quand l’expertise d’usage se croise avec l’expérience du travail social : ainsi les médiateurs-pair en santé apportent une plus-value aux équipes pluridisciplinaires par le partage de leur savoir expérientiel.
Ainsi, la volonté de redonner de l’autonomie aux personnes et du pouvoir d’agir sur leur propre santé peut être le terreau fertile de démarches de santé communautaire. Notion plurielle pouvant recouvrir de nombreuses caractéristiques, elle peut être définie comme « le processus par lequel les membres d’une collectivité, géographique ou sociale, conscients de leur appartenance à un même groupe, réfléchissent en commun sur les problèmes de leur santé, expriment leurs besoins prioritaires et participent activement à la mise en place, au déroulement et à l’évaluation des activités les plus aptes à répondre à ces priorités[1] ». Cette démarche rappelle fortement celle de l’in- novation territoriale et permet de répondre à des besoins partagés par une population locale en mettant la participation citoyenne et le collectif au cœur. On retrouve par exemple des applications intéressantes de ce processus en matière de santé environnementale, où les problématiques de pollution sont souvent partagées à l’échelle locale et dont des systèmes de gouvernance participative dans la réponse peuvent produire des effets bénéfiques (ex : gestion d’un cours d’eau pollué, etc.).
Nota Bene : Les modes de financements traditionnels du système de santé peuvent parfois être un frein au développement de programmes innovants qui ne rentrent pas toujours dans le cœur de métier du service ou de la structure en question. Par exemple, un service de soins infirmiers à domicile qui souhaite développer pour ses publics des sessions de promotion santé, ne pourra pas toujours le faire financer par les modes traditionnels. C’est en ce sens que « la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 a introduit, en son article 51, un dispositif permettant d’expérimenter de nouvelles organisations en santé reposant sur des modes de financement inédits. Et ce, dès lors que ces nouvelles organisations contribuent à améliorer le parcours des patients, l’efficience du système de santé, l’accès aux soins ou encore la pertinence de la prescription des produits de santé[1] ».
3.3 Handicap
A. Le handicap, des réalités multiples
La France compte aujourd’hui 12 millions de personnes en situation de handicap (PSH), soit près de 18% de la population[1]. Derrière ce chiffre se cache une multitude de situations particulières. Et derrière chaque situation, un parcours de vie bien spécifique.
Le handicap est défini par la loi du 11 février 2005 comme suit : « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant[2] ».
Cette définition souligne la réalité plurielle du handicap, qui peut être de plusieurs types[1] parmi lesquels :
- — le handicap moteur ;
- — le handicap auditif ;
- — le handicap visuel ;
- — le handicap psychique ;
- — les handicap mentaux et cognitifs ;
- — les troubles du langage et de la parole (autrement appelés troubles « dys ») ;
- — les maladies invalidantes ;
- — les personnes désavantagées par leur taille.
Si l’accompagnement des personnes en situation de handicap en France était jusqu’à présent majoritairement concentré autour d’une vision médico-sociale, du « prendre-soin » et parfois au détriment du respect des choix et des libertés, cette approche est aujourd’hui largement remise en question, au profit d’un modèle inclusif et d’un accompagnement personnalisé construit avec la personne. Les grandes orientations posées par les politiques publiques cherchent ainsi à faire évoluer l’approche du handicap, en considérant la personne par le prisme de sa situation propre, ses souhaits et ses aspirations.
Ces changements de posture impliquent pour les acteurs de l’accompagnement une transformation des modèles d’action et une réévaluation permanente des pratiques.
B. Tour d’horizon des enjeux du secteur
Les enjeux de l’accompagnement et du secteur du handicap sont nombreux et on ne saurait les résumer de manière exhaustive dans cet ouvrage. Par ailleurs, chaque personne vit en fonction de son handicap et de son parcours personnel une expérience qui lui est propre et toutes les personnes en situation de handicap ne rencontrent pas les mêmes difficultés. Néanmoins, quelques enjeux communs peuvent être soulignés.
Accès aux droits et exercice de la citoyenneté Les personnes en situation de handicap rencontrent souvent des difficultés pour accéder à leurs droits et effectuer certaines démarches administratives. Parmi ces difficultés, on retrouve l’accès physique aux services publics et privés, l’accès aux services numériques dont les formats ne sont pas toujours facilement utilisables et la complexité de certaines démarches administratives. Si des avancées ont permis d’inscrire dans la loi un certain nombre de principes d’accessibilité pour les services publics et les structures commerciales, l’adaptation de ces dispositifs est lente et ne permet pas encore toujours aujourd’hui aux personnes d’accéder pleinement à leurs droits.
Inclusion dans la société Au-delà des droits et des démarches liés aux services publics, les personnes en situation de handicap font face à des problématiques diverses d’inclusion au quotidien, du fait notamment d’un manque d’accessibilité générale des divers bâtiments et infrastructures mais aussi d’une méconnaissance des handicaps par une grande partie de la population. On retrouve ainsi, parmi les enjeux de cette thématique, des difficultés d’accès à l’école, à l’environnement urbain, à trouver un logement adapté et en milieu ordinaire et à accéder à de nombreux loisirs. Par ailleurs, il est à noter qu’un certain nombre de personnes en situation de handicap souffrent de discriminations qui rendent compliquée leur pleine inclusion sociale (vie affective, intime, etc.). Ces discriminations ont de nombreux impacts délétères sur la vie des individus et produisent notamment de l’isolement social et relationnel. L’ensemble de la société doit ainsi apprendre à mieux connaître le handicap afin de donner aux personnes en situation de handicap la place qui leur est due, en tant que membres à part entière de la société.
Insertion professionnelle L’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap reste aujourd’hui un enjeu majeur d’inclusion. En effet, un certain nombre de personnes rencontrent des difficultés à trouver un emploi stable ou qui convient à leurs envies. En 2018, le taux de chômage des personnes en situation de handicap atteignait 18% contre 9% pour l’ensemble de la population française[1]. Des structures spécialisées, les Établissements et services d’aide par le travail (ESAT) « offrent aux personnes handicapées des activités diverses à caractère professionnel et un soutien médico-social et éducatif en vue de favoriser leur épanouissement personnel et social[2] ». Néanmoins, cette logique de l’emploi dans un cadre protégé est de plus en plus questionnée car elle tend à reproduire une fois encore une logique d’exclusion en dehors des institutions de droit commun. Les acteurs du handicap s’orientent donc de plus en plus vers des modes d’accompagnement vers l’emploi en milieu ordinaire.
Cloisonnement des établissements Le modèle traditionnel des établissements médico-sociaux d’accueil et d’accompagnement des personnes en situation de handicap tend à parfois séparer les personnes du reste de la population et ainsi à freiner leur inclusion dans la société. Les établissements, souvent situés hors des villes, peuvent parfois isoler leurs résidents du reste de la société. Ainsi l’école est remplacée par l’Institut Médico-Educatif (IME), le logement par le foyer de vie, ou l’entreprise par l’ESAT, etc. Il est ainsi pertinent d’imaginer un nouveau modèle pour ces établissements que les projets d’innovation territoriale peuvent accompagner vers l’ouverture, le décloisonnement augmentant ainsi le bien-être des personnes accompagnées.
C. Innovations territoriales et handicap
L’innovation territoriale, par le prisme de son approche collective, co-construite et adaptée aux besoins locaux, apparaît comme un levier non-négligeable de lutte contre l’exclusion des personnes en situation en handicap et une brique nécessaire de la réponse à certains enjeux du secteur.
DÉCLOISONNER LES ÉTABLISSEMENTS GRÂCE À L’INNOVATION TERRITORIALE Pour faire face au défi de l’inclusion, l’ouverture des structures médico-sociales sur leur environnement apparaît essentielle. Les projets d’innovation territoriale, comme la mise en place de dynamiques tiers-lieux en établissements ou la création de programmes partenariaux innovants, basés sur le diagnostic des besoins, sont un excellent levier pour estomper la fracture entre la vie en établissement et la vie socio-économique du territoire. Parce que la méthode de l’innovation territoriale valorise la participation de chacun à la co-construction du projet, le développement d’activités au plus près des besoins et l’animation d’une communauté mixte de personnes, le développement de tels projets au sein d’établissements a de multiples vertus. Parmi les impacts positifs, on compte :
- — l’accroissement du pouvoir d’agir des personnes qui deviennent actrices et décisionnaires d’un projet collectif ;
- — la création de nouveaux partenariats et l’ouverture des activités à l’ensemble des habitants du territoire qui permet aux PSH de s’insérer dans un collectif mixte de citoyens ;
- — le développement d’activités qui répondent aux besoins locaux en faisant de l’établissement un maillon central de la vie sociale et culturelle locale ;
- — la transformation des pratiques des professionnels d’une prise en charge verticale à un accompagnement vers l’autonomie ;
- — la mise en lien des acteurs du handicap dans des instances de dialogue privilégiées et diversifiées, pour favoriser l’accompagnement des personnes dans une logique de parcours continu qui intègre tous les aspects de la vie des individus (vie sociale, vie professionnelle, scolarité, vie associative, accès à la culture, pratique sportive, vie affective, sexualité, citoyenneté, loisirs, etc.).
SENSIBILISER ET FAVORISER LE LIEN SOCIAL Par ailleurs, si un porteur de projet d’innovation sociale locale a parmi ses objectifs celui de contribuer à l’inclusion des personnes en situation de handicap, plusieurs leviers peuvent être activés.
D’abord celui de faciliter la rencontre et la mixité sociale (cafés- rencontre, évènements culturels, etc.). Pour cela, il est important d’identifier les freins qui peuvent intervenir à la bonne communication entre les personnes et de pouvoir accompagner ces rencontres pour lever ces difficultés.
Par ailleurs, l’ostracisation des personnes en situation de handicap provenant souvent de la méconnaissance du sujet et de la peur de « mal faire », « ne pas savoir réagir », il peut être pertinent d’organiser des ateliers de sensibilisation et d’information sur le handicap. Démystifier le sujet facilite alors la propension de chacun à tisser des liens avec les personnes en situation de handicap, qu’elles fassent partie du collectif projet ou simplement des usagers du projet en question. Les dynamiques de tiers-lieux en établissement, parce qu’elles cherchent à créer une vraie mixité sociale, sont un bon moyen de retisser des liens et d’améliorer le niveau de connaissance, la tolérance et l’inclusion à l’échelle d’un territoire.
Enfin, de nombreux projets d’innovation sociale locale développent des dispositifs destinés au partage d’expériences, de bonnes pratiques et au dialogue entre aidants (cafés des aidants, cercle de parole, événements témoignages, etc.). Le rôle d’aidant, crucial et parfois très solitaire, peut être plus facile à vivre et à appréhender en intégrant un collectif d’entraide, de solidarité, où les personnes font face ensemble aux problématiques rencontrées.
INCLURE ET RENDRE ACCESSIBLE Dans tout projet d’innovation territoriale, il est important de penser au degré d’inclusion et d’accessibilité à la fois des processus de co-construction, de participation, mais aussi aux lieux et matériels utilisés pour les activités. Il n’est pas toujours aisé, parmi les autres contraintes, d’anticiper efficacement ces problématiques. Il s’agira alors pour les porteurs de projet de faire en sorte que les réunions, supports d’information et autres communications soient accessibles aux per- sonnes en situation de handicap qui souhaitent s’investir. Pour cela, ils peuvent se rapprocher des établissements et services d’accompagnement de leur territoire pour s’assurer de lever au maximum les freins à la participation des personnes, en lien avec les professionnels. Il s’agira également de créer les conditions propices de tolérance et de bienveillance au sein des instances où s’exprimer devant un collectif n’est pas toujours aisé. Enfin, il convient de choisir, dans la mesure du possible, des lieux d’activités aux normes pour les personnes à mobilité réduite et de pourquoi pas intégrer de la signalisation inclusive à ces lieux. Si le projet a dans son cœur d’objectifs les enjeux du handicap, il est par ailleurs indispensable d’intégrer les premiers intéressés, dans une démarche communément appelée « rien sur nous sans nous ».
Si ces efforts sont indispensables pour faire venir les personnes et poursuivre l’ambition d’un territoire pleinement inclusif, il peut être également pertinent de développer des dispositifs innovants d’aller-vers, pour se rapprocher des individus qui ne viendraient pas spontanément contribuer ou participer au projet. Ces dispositifs sont variés (véhicules mobiles regroupant des professionnels, cafés-rencontres éphémères sur l’espace public, etc.) et peuvent permettre à la fois de créer du lien social, de donner accès à des services de proximité ou encore d’améliorer la connaissance et l’accès aux droits.
FAVORISER L’ENGAGEMENT ET L’INSERTION PROFESSIONNELLE Afin de faciliter l’inclusion des personnes en situation de handicap, les projets d’innovation territoriale peuvent également faciliter leur insertion professionnelle. En effet, si la programmation d’activités s’y prête, il peut être efficace de permettre à des PSH éloignées de l’emploi de pouvoir s’engager professionnellement dans le projet. Si le projet ne réalise pas de recrutements salariés, il pourra néanmoins faciliter l’engagement bénévole des PSH qui souhaitent s’investir et ainsi favoriser la montée en compétences, la mixité du collectif, et le pouvoir d’agir des personnes en dehors du cadre parfois trop cloisonné des structures « adaptées ». L’inclusion des individus et leur participation à des projets collectifs et citoyens sont essentielles. Plus ces convergences seront fortes, plus un territoire bénéficiera d’un environnement inclusif pour tous. Permettre à ces personnes de contribuer, au même titre que les autres, à un engagement au service d’un projet d’intérêt général est ainsi le prérequis nécessaire à la réalisation pleine et entière de leur citoyenneté, leur liberté de choisir leur parcours de vie et la reconnaissance de leur potentiel.
3.4 Longévité
A. Qu’est-ce que le bien vieillir ?
Le vieillissement de la population figure parmi les défis majeurs auxquels notre société doit aujourd’hui faire face. En effet, les projections démographiques prévoient qu’en 2060, « une personne sur trois aura plus de 60 ans[1] ». Par ailleurs, alors que 2,5 millions de seniors étaient en perte d’autonomie en 2019, ils seront 4 millions en 2050[2].
Nous entrons ainsi collectivement dans la société de la longévité, où la question du bien-vieillir occupe une place essentielle et met en relation le vieillissement et les notions de bonne santé, de bien-être physique, mental et social. Qui sont les personnes concernées par ces thématiques ? Bien que l’on évoque souvent les « personnes âgées » ou les « personnes vieillissantes », il semble pertinent, plutôt que de les considérer à travers le prisme de l’âge ou de la perte d’autonomie, de considérer ces personnes par le prisme de leurs droits, de leur liberté et de leur capabilités[1].
Construire une société plus inclusive pour les personnes âgées nécessite de changer le regard porté sur elles et de leur redonner une juste place, en tant que personnes ressources ayant beaucoup à transmettre et à partager de par leur expérience de vie. Ainsi, « bien vieillir » ne se résume pas à limiter la perte d’autonomie mais doit permettre à toute personne âgée :
- — de rester pleinement libre de ses choix et décisions ;
- — d’être capable d’exercer ses droits et d’accéder aux services essentiels au même titre que tout citoyen ;
— de se sentir pleinement intégrée et partie prenante dans la société ;
— d’entretenir des liens sociaux de qualité.
B. Les enjeux du secteur
De nombreux enjeux accompagnent la transition démographique majeure que nous vivons actuellement. Si l’on vit aujourd’hui plus longtemps, il n’est pas une évidence pour autant d’affirmer que l’on vit bien vieux. Souvent, le dénominateur commun de ces enjeux est la question des possibilités d’accès : accès à une vie sociale riche, accès aux droits et à l’exercice de sa citoyenneté, accès à la contribution de ses propres talents à la société.
Isolement social Les personnes âgées sont particulièrement exposées à l’isolement social. On estime que « 2 millions personnes âgées de 60 ans et plus sont isolées de leur famille et de leurs amis[1]». Ce constat recouvre des réalités multiples. En effet, l’isolement peut concerner des personnes vivant à leur domicile, qui, notamment pour des raisons de difficulté de mobilité, voient leurs liens affectifs et sociaux s’affaiblir. Il peut également être lié à l’accueil en hébergement collectif qui limite leurs possibilités de rentrer en relation avec des personnes issues d’autres générations, et de manière horizontale, hors de la dynamique soignant / soigné qui peut exister avec les équipes professionnelles.
Accès aux droits et services essentiels Les personnes âgées rencontrent souvent des difficultés dans l’accès à des services de la vie quotidienne. Ces difficultés peuvent être physiques (mobilité réduite, vie en zone isolée, manque d’adaptation des équipements municipaux, manque accès aux services de proximité) ou être une conséquence de la dématérialisation grandissante des démarches et de la fracture numérique qui en résulte (démarches administratives, accès aux droits, accès aux actualités de la vie sociale, etc.).
Pouvoir d’agir des personnes Les personnes âgées sont trop souvent considérées comme ayant besoin d’aide, mais pas assez comme source de potentiel. Alors comment mettre en valeur leurs capabilités et favoriser la transmission de leurs savoirs et expériences ? Cette problématique appelle à porter un regard encapacitant sur les personnes âgées et à penser les conditions qui rendent possible leur participation.
C’est une approche qui peut représenter un défi dans les établissements et services traditionnels d’accompagnement des personnes âgées dans lesquels celles-ci sont encore souvent seulement appréhendées par leurs manques et leur perte d’autonomie. Ici encore, l’isolement social est une des raisons pour lesquelles les personnes accueillies ou non dans les établissements ne peuvent pas toujours exercer pleinement leur citoyenneté et leurs talents au sein de la vie locale. Il s’agit alors de dépasser la frontière aidant / aidé et de permettre à chacun de s’engager dans les activités qu’il désire entreprendre.
Attractivité des établissements Aujourd’hui, 68% des Français ont encore une image négative des Établissements d’Hébergement pour Personnes Dépendantes (EHPAD) et seulement 13% d’entre eux envisagent d’intégrer un établissement en cas de perte d’autonomie[1]. Ce constat souligne la nécessité d’un changement de modèle pour s’adapter à la diversité des situations des personnes vieillissantes, à leurs besoins et à leurs désirs. Aujourd’hui, il semble plus que jamais nécessaire à la fois de renouveler le modèle de l’EHPAD afin d’en faire un lieu attrayant, connecté, et engagé dans son territoire et auprès de sa communauté, et de continuer à penser des alternatives adaptées à la diversité des besoins ainsi qu’aux différentes étapes du parcours d’une personne qui vieillit.
Synergies des établissements et des services Les différents dispositifs d’accompagnement des personnes vieillissantes fonctionnent encore trop souvent en silos, quand la réalité des individus s’inscrit dans un parcours non linéaire avec des besoins qui évoluent de manière progressive ou au contraire brutale. Du point de vue des personnes concernées et des proches aidants qui les accompagnent dans ce parcours, la visibilité et l’accès aux différentes aides et services proposés sont encore souvent opaques, rendant leur démarche d’autant plus difficile. Afin de proposer aux personnes en perte d’autonomie un accompagnement sans rupture de parcours, il convient de favoriser les synergies entre les différentes structures d’accueil ou de prise en charge des personnes (soins à domicile, accueil temporaire, établissement médicalisé, hébergement collectif, etc.) et de les rendre efficacement visibles aux personnes concernées. Mettre en place un parcours gradué et continu issu de collaborations locales permet ainsi d’offrir un accompagnement adapté aux besoins de chacun et à différentes étapes de leur vie. Un des enjeux de cette problématique sera également d’apporter un soutien et une reconnaissance accrue aux aidants (familiaux ou non), maillons essentiels du parcours de vie des personnes. Par ailleurs, les EHPAD sont trop souvent absents des dynamiques culturelles, citoyennes et associatives de leur territoire, ce qui accentue le cloisonnement des ces établissements et des personnes qu’ils accueillent. Paradoxal, ce cloisonnement tranche avec le grand nombre de personnes qui y habitent, y travaillent et tend à invisibiliser les personnes âgées aux yeux du reste de la société.
C. L’innovation territoriale comme levier du bien-vieillir
Face à tous ces enjeux, le champ est ouvert pour développer de nouveaux dispositifs et repenser le modèle des établissements et services médico-sociaux pour personnes âgées. L’innovation sociale consiste justement en la création de réponses nouvelles à des besoins sociaux mal ou peu satisfaits, en impliquant la participation et la coopération des acteurs concernés. C’est en impliquant les personnes concernées, leurs aidants et les professionnels qui les accompagnent dans la création et l’animation de ces solutions à une échelle locale que l’innovation sociale locale peut répondre efficacement aux enjeux du vieillissement, en se mettant au service de l’inclusion des personnes âgées et du nouveau rôle des établissements qui les accompagnent. Ainsi, les porteurs de projet (établissements, services ou citoyens) souhaitant adresser la thématique du bien-vieillir sur leur territoire pourront s’inspirer des idées et bonnes pratiques présentées dans la suite de ce chapitre.
FAVORISER LA PARTICIPATION ET LE LIEN SOCIAL DES PERSONNES ÂGÉES À travers une démarche de co-construction d’un projet, de gouvernance partagée ou encore de participation citoyenne, les projets d’innovation territoriale peuvent permettre de favoriser la participation des personnes âgées à des activités collectives d’intérêt général et ainsi valoriser leur pouvoir d’agir. Leur participation à un collectif citoyen et partenarial local est également un levier de création de lien social. À ce titre, de nombreux projets d’innovation territoriale proposent des dispositifs dédiés à la rupture de l’isolement pour les personnes âgées, en mettant en avant le partage intergénérationnel et la transmission des savoirs.
Inclure les personnes âgées dans ces projets permet ainsi de favoriser le plein exercice de leur citoyenneté et d’acter un changement de regard posé par le public sur les personnes âgées. Parmi les actions qui peuvent être mises en place afin d’encourager les capabilités et l’inclusion des personnes âgées, on peut prendre comme exemples :
- — les ateliers de co-construction ou chantiers participatifs les impliquant aux côtés d’autres acteurs locaux (habitants, étudiants, associations, familles de résidents, etc.) ;
- — la co-création d’activités leur permettant de transmettre leurs savoirs-faire et expériences (ateliers couture, ateliers mémoire, etc.) ;
- — le développement de plateformes de rencontres entre personnes âgées et jeunes.
TRANSFORMER LES LIEUX DE VIE Se sentir bien et « chez soi » lorsque l’on vieillit ne va pas de soi. Repenser les lieux de vie de manière innovante peut alors se décliner de plusieurs manières : en adaptant les logements pour permettre aux personnes de rester chez eux le plus longtemps possible, en imaginant des formes d’habitat inclusif qui permettent de préserver l’autonomie des personnes tout en nourrissant une vie de communauté locale et mixte, ou enfin en ouvrant les lieux d’hébergements collectifs comme les EHPAD sur l’extérieur pour en faire des lieux de rencontre et de ressources du territoire au service du lien social des personnes qu’ils accueillent.
Le développement de dynamiques locales participatives et innovantes comme la création de tiers-lieux en EHPAD permet ainsi de replacer ses habitants au cœur de la vie sociale locale, en les rendant pleinement acteurs de la création et de l’animation de la programmation d’activités.
Parce qu’elle propose aux habitants d’EHPAD de s’exprimer, d’acter des choix, et de participer à la création d’espaces non standardisés et chaleureux, la méthodologie participative de l’innovation territoriale permet d’opérer un impact positif sur leur rapport à leur lieu d’hébergement. L’implication des usagers et du territoire dans la co-construction des solutions et des activités permet également des rencontres mixtes avec un large panel d’habitants. Ces dynamiques permettent enfin aux établissements de devenir des lieux ressources, animateurs de la vie sociale et culturelle de leur territoire, en proposant des activités qui répondent non seulement aux enjeux du bien-vieillir, mais aussi aux besoins locaux plus largement. À titre d’exemples, voici quelques illustrations d’implication des habitants de l’EHPAD dans la création d’espaces partagés et multi-usages au sein de leur lieu de vie :
- — recueil de la parole des personnes (groupes de parole sur leurs besoins et envies, entretiens individuels, questionnaires, ateliers de co-construction des activités) ;
- — participation active et adaptée aux chantiers d’aménagement du lieu ;
- — développement d’activités qui répondent aux besoins locaux (ateliers sensibilisation, cafés intergénérationnels, salon de coiffure solidaire, événements culturels, mise à disposition de salles pour les associations, jardins partagés, etc.).
DÉVELOPPER DES DISPOSITIFS D’ALLER-VERS Parce que les difficultés de mobilité ou d’accès à l’information constituent parfois le plus grand obstacle à la rencontre entre les personnes et les services d’accompagnement existants, les dispositifs qui permettent de se rendre au plus près des publics se révèlent très pertinents. Ils peuvent prendre diverses formes. Il peut s’agir de véhicules mobiles allant à la rencontre des personnes et de leurs aidants avec des professionnels pour des activités d’information, d’orientation, d’aide aux démarches ou d’animation. Ces dispositifs peuvent également être la résultante du décloisonnement entre les activités d’établissement et du domicile, comme les dispositifs d’EHPAD hors les murs. Ces innovations sont plus efficaces quand elles ont été pensées avec les personnes concernées et sont opérées en lien étroit avec les acteurs institutionnels et associatifs locaux (CCAS, services à domicile, associations).
DÉVELOPPER LE SOUTIEN AUX AIDANTS Le rôle majeur des aidants auprès des personnes en perte d’autonomie est peu à peu reconnu par les institutions et la société. Il représente un poids considérable pour la personne concernée et a des conséquences sociales, psychologiques et physiques importantes. Ici encore, la coopération entre acteurs est essentielle pour structurer et faire connaître les dispositifs d’information sur le statut d’aidant, orienter vers les aides disponibles, vers les dispositifs de répit existants sur le territoire (plateformes de répit, baluchonnage) et créer des espaces d’échange entre pairs et avec des professionnels (café des aidants, groupe de paroles). L’ensemble de ces leviers peuvent être activés dans un projet d’innovation sociale locale orienté vers le bien-vieillir. Les services d’accompagnement à domicile ou d’hébergement des personnes âgées ont un rôle important à jouer auprès de ce public.
DÉVELOPPER LES COOPÉRATIONS La mise en place de dispositifs d’innovation territoriale (tiers-lieux, dispositifs itinérants, plateformes d’entraide, etc.) implique une forte dynamique partenariale, dans laquelle un ensemble d’acteurs différents et complémentaires s’associent pour partager des ressources, échanger des compétences et répondre aux besoins locaux. Les projets, en favorisant les synergies, pourront ainsi permettre :
- — de créer ou renforcer les liens entre les différents services locaux du bien-vieillir et ainsi favoriser l’intégration des personnes dans un parcours gradué et continu d’accompagnement ;
- — de développer des activités hybrides entres des structures spécialisées et des acteurs divers (associations culturelles, centre de loisirs, CAF, etc.).
3.5 Isolement et lien social
A. Qu’est ce que l’isolement social ?
Le Comité Economique, Social et Environnemental (CESE), dans un rapport paru en 2017[1], propose une définition globale et multidimensionnelle de l’isolement social :
« L’isolement social est la situation dans laquelle se trouve la personne qui, du fait de relations durablement insuffisantes dans leur nombre ou leur qualité, est en situation de souffrance et de danger. Les relations d’une qualité insuffisante sont celles qui produisent un déni de reconnaissance, un déficit de sécurité et une participation empêchée. Le risque de cette situation tient au fait que l’isolement prive de certaines ressources impératives pour se constituer en tant que personne et accéder aux soins élémentaires et à la vie sociale ».
La notion d’isolement peut s’évaluer :
- — de façon quantitative : par exemple, en comptant le nombre de contacts d’un individu avec une autre personne au cours d’une année ;
- — de façon qualitative : un individu peut avoir des échanges fréquents avec d’autres personnes de son entourage, mais se sentir malgré tout très seul si ces interactions sont trop fragiles ou ne le satisfont pas. Cette acception plus qualitative est proche de ce que l’on peut qualifier de sentiment de solitude. Cette solitude, qui peut parfois être choisie et appréciée, est parfois subie. Dans ce cas, elle devient une souffrance et un risque.
Quelle que soit sa forme, l’isolement a des répercussions importantes sur les individus : il constitue un risque favorisant la perte d’autonomie, engendre des souffrances psycho-sociales importantes, diminue les capacités des personnes à faire face aux difficultés qu’elles rencontrent et à recourir à leurs droits (accès aux soins, alimentation, etc.). La lutte contre l’isolement est donc aujourd’hui un enjeu majeur de santé publique et de cohésion sociale.
B. État des lieux de l’isolement social en France
Aujourd’hui en France, 13% des personnes se trouvent en situation d’isolement relationnel[1], et 22 % se trouvent en situation relationnelle « fragile »[2], c’est-à-dire qu’elles n’entretiennent de relations soutenues qu’avec un seul des cinq réseaux relationnels principaux : amis, famille, relations professionnelles, cercle affinitaire, voisinage. L’isolement est une problématique sociétale qui peut toucher tout le monde, quelle que soit sa situation socio-économique, et qui se cumule souvent avec d’autres fragilités :
— les personnes âgées, les plus touchées : environ un tiers des personnes de 75 ans et plus sont en situation d’isolement relationnel[1] ;
— les personnes vivant seules : 34% d’entre elles déclarent ressentir fréquemment un sentiment de solitude[2] ;
— les jeunes de 18-24 ans : 27% déclarent se sentir toujours ou souvent seuls[3] ;
— les personnes précaires : « depuis 2016, les bas revenus et les classes moyennes inférieures constituent à eux seuls près de 60% des isolés[4]» ;
— les personnes atteintes de maladies chroniques longue durée ou en situation de handicap : 33% d’entre elles se trouvent en situation ou en risque d’isolement[5].
Les pouvoirs publics se saisissent ainsi de plus en plus de cette problématique et les évolutions récentes sur le plan institutionnel constituent une opportunité favorable au développement d’initiatives porteuses de lien social. Parmi elles, on peut notamment citer :
- — la création des Espaces de Vie Sociale (EVS), qui « visent à renforcer les liens sociaux et les solidarités de voisinage, en développant à partir d’initiatives locales, des services et des activités à finalités sociales et éducatives[1] » ;
- — le lancement de programmes et appels à projets institutionnels pour le développement et la cohésion des territoires comme l’Appel à Manifestation d’Intérêt « Fabriques de Territoires », porté par l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires ;
- — les travaux sur la lutte contre l’isolement des personnes âgées, menés par le Ministère Chargé de l’Autonomie dans le cadre de la création de la cinquième branche de la Sécurité Sociale ;
- — la mise en place et la promotion par les acteurs institutionnels de dispositifs de soutien, d’écoute et de lien pendant la crise Covid-19 comme le numéro vert national ou la plateforme téléphonique Croix-Rouge chez vous.
C. Lutte contre l’isolement social et innovation territoriale
Si la lutte contre l’isolement doit faire l’objet d’une politique nationale, une action territorialisée et en forte proximité est une condition sine qua non à la préservation et au développement du lien social.
En effet, il est admis que l’isolement tend généralement à maintenir les personnes dans un périmètre géographique restreint (voire limité à leur lieu de vie), et que les liens de proximité – famille, voisinage, commerçants, etc. – sont déterminants pour prévenir ou rompre cet isolement. D’autre part, selon les caractéristiques géographiques et socio-démographiques d’un territoire, les manifestations et formes d’isolement y seront différentes. Ainsi, contrairement à certaines idées reçues, les personnes souffrent d’isolement aussi bien en zone rurale qu’en zone urbaine[1], mais pour des raisons distinctes. Dans les territoires urbains, la forte densité de population est un facteur d’isolement car elle rend plus difficiles les relations de voisinage[2]. Quant aux territoires les plus ruraux, l’éloignement géographique des commerces, services et lieux de loisirs et de socialisation, rend potentiellement plus rares les contacts interpersonnels.
REPÉRER LES BESOINS L’isolement est une problématique complexe à identifier parce qu’elle n’est pas très visible, qu’elle peut toucher tout le monde, et qu’il peut être difficile d’accepter que l’on est isolé et, par conséquent, de demander de l’aide.
La première étape est donc de pouvoir détecter les personnes souffrant d’isolement ou de solitude en étant attentif aux autres, dans son entourage, son quartier, ses activités. Chaque citoyen peut intervenir à son niveau pour prévenir les situations d’isolement et les identifier :
- — le grand public : au sein de son entourage et de son voisinage ;
- — les commerçants et intervenants de proximité : les boulangers, pharmaciens, facteurs, gardiens d’immeubles, etc. ;
- — les professionnels et bénévoles intervenant dans le secteur médico-social.
Les projets d’innovation territoriale, parce qu’ils s’attachent à diagnostiquer le territoire et construire des collectifs hybrides, sont des terreaux fertiles pour l’identification des situations de solitudes par les pairs. Des ressources peuvent par ailleurs être travaillées collectivement et mises à disposition de tous pour faciliter ce repérage, comme par exemple : des sensibilisations / formations en ligne ou en présentiel, des guides d’aide au repérage de l’isolement, etc.
TISSER DES LIENS Lorsque l’on souhaite accompagner une personne souffrant d’isolement, évoquer le sujet de façon directe peut être inapproprié, surtout si on ne la connaît pas bien. Dans un premier temps, il est préférable de trouver un prétexte pour entrer en contact avec elle et nouer un lien de confiance, en veillant à ne pas être intrusif.
Cela peut s’envisager de deux manières :
- — Aller à la rencontre de la personne, dans son environnement : par exemple, frapper chez un voisin qui semble isolé pour lui demander un service (vous dépanner un ustensile de cuisine, un outil, autre), et en profiter pour engager la conversation ;
- — Créer des espaces bienveillants et chaleureux propices aux échanges : organiser un pot convivial ou une animation ouverte à tous dans votre association, votre voisinage, votre tiers-lieu, etc.
L’animation de communauté constitutive des projets d’innovation territoriale permet de tisser des liens interpersonnels et de favoriser le sentiment d’appartenance d’individus à un collectif de solidarité et d’amitié. Même si le projet en question n’est pas focalisé sur le lien social, il produira nécessairement des effets bénéfiques sur l’isolement des personnes.
COOPÉRER POUR MIEUX ACCOMPAGNER Les projets d’innovation territoriale permettent souvent de mettre en lien les acteurs d’un même territoire et favorisent les synergies multipartenariales. Si le projet s’attache à la lutte contre l’isolement social, cette caractéristique permet de favoriser la coordination des acteurs concernés, de mieux repérer les situations d’isolement et de fluidifier les parcours de prise en charge des personnes isolées. Plus les acteurs seront en lien et coordonnés, meilleur sera l’accompagnement de la personne isolée, car il y aura moins de risques de rupture dans son parcours. Sur cette base, en développant une bonne connaissance et un lien étroit avec les différents acteurs du territoire, le porteur de projet ou le collectif pourra mettre en lien les personnes avec des services adaptés et favoriser la coopération entre ces derniers.
De par la recherche de mixité des publics accueillis, mais aussi par leur ancrage local fort et leur dynamique de collaboration inter-acteurs, les projets d’innovation territoriale constituent ainsi indéniablement un terrain favorable à l’expérimentation et la mise en œuvre de ces leviers de lutte contre l’isolement.
Zoom sur l’habitat partagé
Afin de lutter contre l’isolement social et de favoriser la mixité, la coopération et la rencontre, l’habitat partagé, également appelé participatif ou inclusif, est une démarche d’intérêt général qui peut être considérée comme une forme d’innovation territoriale.
Cette forme d’habitat s’est particulièrement développée dans la seconde moitié du XXe siècle et s’épanouit de plus en plus, au-delà des champs de l’autonomie (personnes âgées, personnes en situation de handicap, etc.). Il peut être défini comme « une forme d’habiter complémentaire au domicile (logement ordinaire) et à l’accueil en établissement (hébergement). Il s’agit [souvent] de petits ensembles de logements indépendants, caractérisés par la volonté de ses habitants de vivre ensemble et par des espaces de vie individuels, associés à des espaces de vie partagés, dans un environnement adapté et sécurisé[1] ». Ces projets sont souvent issus de la société civile et répondent à de multiples enjeux, parmi lesquels[2] :
- — Favoriser la coopération et la participation collective ;
- — Mutualiser les ressources et les coûts de l’hébergement ;
- — Favoriser la rencontre et la mixité sociale ;
— Réduire l’impact environnemental de l’habitat individuel.
Les habitats inclusifs sont accessibles à tous et peuvent prendre diverses formes. Néanmoins, on peut retenir quelques caractéristiques communes retrouvées la plupart du temps dans ces projets[1] :
— le mélange complémentaire entre logements privés et espaces communs partagés ;
— l’intégration de l’habitat dans un écosystème social et culturel local ;
— la co-construction d’un projet de vie sociale (les habitants se retrouvent autour d’activités ou de valeurs communes).
Par ailleurs, les habitats inclusifs destinés prioritairement aux personnes en perte d’autonomie proposent souvent la possibilité d’un accompagnement par des professionnels, permettant de faciliter la vie quotidienne de ses habitants[1].
3.6 Insertion
A. Définir l’insertion
Malgré une baisse du taux chômage en France ces dernières années, de nombreuses personnes restent durablement éloignées de l’emploi. Si le nombre total de chômeurs a légèrement diminué ces dernières années, on observe une tendance inverse pour les chômeurs de longue durée (augmentation du nombre des demandeurs d’emplois depuis plus de 3 ans).
Une fois installé, cet éloignement du marché du travail entraîne bien souvent des difficultés dans tous les autres domaines de la vie des personnes concernées (santé physique et mentale, situation familiale, logement, équilibre financier du foyer), les conduisant parfois à une situation d’exclusion sociale.
Afin de lutter contre ces risques, le secteur de l’insertion par l’activité économique (IAE) se développe depuis les années 1970.
Aujourd’hui représenté par près de 4000 structures de l’économie sociale et solidaire, il vise à aider les personnes les plus éloignées de l’emploi à retrouver une situation stable et à accéder à un emploi durable.
Quelles sont les structures et dispositifs de l’IAE ?
Les structures de l’IAE (SIAE) sont des acteurs économiques à part entière, qui fournissent des biens ou services, mais dont l’objectif principal est de permettre le retour à l’emploi durable des salariés en parcours d’insertion. Ces entreprises de l’ESS peuvent prendre la forme d’une association, une coopérative, une SARL ou SAS classique.
C’est un secteur très réglementé : pour entrer dans un dispositif d’insertion, la structure doit obtenir un conventionnement avec les DDETS (Direction départementale de l’Emploi, du Travail et des Solidarités) ou la DRIEETS en Ile-de-France, qui suivent de près son activité (objectifs, actions mises en place, résultats).
Les principaux dispositifs existants sont :
- — l’Atelier Chantier d’Insertion (ACI) ;
- — l’Entreprise d’Insertion (EI) ;
- — l’Association Intermédiaire (AI) ;
- — l’Entreprise de Travail Temporaire d’Insertion (ETTI).
Les spécificités d’un contrat d’insertion
S’il existe plusieurs types de contrats ayant pour objectif de faciliter l’emploi des personnes qui en sont éloignées, nous prendrons ici comme exemple le CDD d’insertion (CDDI) qui s’applique aux personnes recrutées par une entreprise d’insertion, une association intermédiaire ou un atelier et chantier d’insertion.
Il est ouvert aux personnes au chômage, rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières : jeunes de moins de 26 ans en grande difficulté, bénéficiaires de minima sociaux tel que le RSA, demandeurs d’emploi de longue durée, travailleurs reconnus en situation de handicap[1].
Le Contrat à Durée Déterminée d’Insertion, d’une durée minimum de quatre mois et pouvant être renouvelé jusqu’à deux ans maximum, permet à la personne en transition de retrouver une certaine stabilité, de s’habituer à nouveau aux codes du monde du travail (horaires, consignes, travail en équipe, etc), de se former en situation de production et de pouvoir bénéficier d’un accompagnement socio-professionnel pour l’aider à définir et réaliser son projet. La durée minimale de travail est de 20 heures hebdomadaires, sans dépasser 35 heures et le salarié perçoit une rémunération au moins égale au Smic.
Comment s’organisent la production et l’accompagnement dans les structures d’insertion ?
Chaque structure a ses particularités mais on retrouve toujours deux postes essentiels.
D’une part, l’encadrant technique d’insertion supervise la production et gère une équipe de salariés en parcours d’insertion. D’autre part, le conseiller en insertion professionnelle accompagne un groupe de salariés en parcours d’insertion dans la levée de leurs freins à l’emploi et la réalisation de leur projet professionnel. Une SIAE est ainsi un acteur économique dont l’objectif principal est l’insertion professionnelle, ce qui implique souvent que :
- — le parcours de formation ou les compétences acquises ultérieurement ne sont pas des critères de recrutement. Ainsi les personnes les plus éloignées de l’emploi, sans formation et sans compétences préalablement identifiées, ont ici une réelle opportunité de travailler ;
- — les temps de formation ou des périodes de mise en situation en milieu professionnel sont priorisés pour les salariés en parcours d’insertion. Ils ont la possibilité de quitter la structure sans préavis s’ils décrochent un emploi.
B. Tour d’horizon des problématiques et besoins du secteur
Le secteur de l’Insertion par l’Activité Economique a bénéficié ces dernières années de plusieurs tendances favorables à son développement.
D’abord, une politique volontariste menée par les institutions publiques de l’emploi pour augmenter les effectifs en insertion, afin de proposer aux personnes en situation de chômage de longue durée des solutions concrètes et éprouvées. Cette politique se traduit par une volonté des DREETS (Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) d’augmenter le nombre de salariés en insertion sur les structures existantes et de favoriser l’émergence de nouvelles structures lorsqu’elles répondent à un besoin important, ainsi que par une augmentation des aides publiques visant à faciliter les investissements créateurs d’emplois. Ensuite, une volonté accrue des entreprises et administrations de développer les liens avec les SIAE, en vue notamment de répondre à leurs enjeux en matière de responsabilité sociale et environnementale (RSE). En effet, de plus en plus de ces acteurs cherchent à développer les achats inclusifs en travaillant avec des SIAE et en recrutant des personnes éloignées de l’emploi. Ces entreprises créent des passerelles vers les emplois pour lesquels les besoins en main d’œuvre sont importants et / ou difficiles à couvrir.
Enfin, une meilleure connaissance et un intérêt croissant des particuliers pour le secteur de l’ESS en général, qui favorise le développement des activités d’insertion fournissant des biens ou services à destination du grand public.
Les défis à relever restent toutefois nombreux.
Lorsque l’on aborde le sujet du chômage de longue durée, le nombre d’offres d’emplois non pourvues en France pose souvent question. Comment expliquer le fait que les acteurs de l’emploi (Pôle Emploi, SIAE, Maisons pour l’emploi, etc) ne parviennent pas à suffisamment orienter, former et préparer les publics en recherche d’emplois, alors que le besoin de main d’œuvre est visible dans de nombreuses industries ? Pour les SIAE, plusieurs défis restent à relever, parmi lesquels :
- — le manque de données à leur disposition sur les métiers et secteurs ayant des besoins en main d’œuvre difficiles à couvrir et pouvant correspondre aux profils de leurs salariés sur leur territoire ;
- — la relative faiblesse des liens entre les SIAE et les entreprises ayant d’importants besoins en main d’œuvre, conditions essentielles pour travailler de façon conjointe sur les parcours de formation et les recrutements inclusifs. Pour que les passerelles entre l’IAE et les entreprises fonctionnent et permettent une inclusion pérenne dans l’emploi, les employeurs doivent avec l’aide du secteur de l’IAE repenser leurs processus de recrutement et d’intégration, et les adapter à des salariés encore en cours de transition professionnelle.
- — la forte hétérogénéité des publics accompagnés par les SIAE (réfugiés statutaires, personnes sans domicile, personnes souffrant de troubles psychologiques, séniors, etc.). Chaque public a des besoins spécifiques et des freins à l’emploi à traiter au cas par cas. Un accompagnement spécifique pourrait ainsi permettre de meilleurs résultats quant au retour à l’emploi.
- — l’existence de « zones blanches », notamment dans certains territoires ruraux demeurant peu pourvus en SIAE malgré d’importants besoins.
C. Innovations territoriales et insertion
Les projets d’innovation sociale dans les territoires constituent des leviers non-négligeables d’insertion professionnelle et ce à plusieurs niveaux.
PENSER À L’INSERTION COMME MODALITÉ DE RECRUTEMENT ET D’ENGAGEMENT DANS LES PROJETS Les projets d’innovation territoriale s’appuient parfois sur un modèle économique qui nécessite de recruter des salariés. Afin d’accroître l’impact social du projet, les porteurs de projet pourront favoriser le recrutement de personnes éloignées de l’emploi. Par ailleurs, si l’inclusion par l’emploi est au coeur du projet, il est à noter que, conditionnées à un conventionnement spécifique avec les autorités compétentes et à un certain nombre de critères relatifs au projet (capacité d’accompagnement, réponse à un besoin du territoire, viabilité économique du modèle, etc.), des aides financières à l’emploi d’insertion peuvent être accordées par les pouvoirs publics. Néanmoins, les porteurs de projet devront garder à l’esprit les contraintes et spécificités suivantes :
- — L’objectif principal d’une SIAE étant l’insertion par le travail, l’activité doit être pensée pour permettre aux salariés en transition professionnelle de se former et d’acquérir des compétences favorisant leur sortie en emploi ;
- — Malgré les subventions et aides publiques soutenant les structures du secteur, le chiffre d’affaires auto-généré est de plus en plus structurant dans l’équilibre des modèles économiques des SIAE et devient indispensable à leur développement.
Si le projet ne propose pas de recrutement salarié, les porteurs de projet pourront également permettre à des personnes éloignées de l’emploi de s’engager bénévolement dans le collectif, en participant à des activités ou à la gouvernance, ce qui peut faciliter pour elles le développement de leurs compétences techniques et sociales et ainsi, par la suite, un retour à l’emploi.
FAVORISER LES COLLABORATIONS AVEC LES ENTREPRISES D’INSERTION Historiquement, le secteur de l’insertion par l’activité économique s’est beaucoup construit autour d’activités qui répondaient à des besoins locaux délaissés par l’économie « conventionnelle », du fait de l’obligation de non concurrence liée aux subventions reçues par les SIAE. On retrouve cette dynamique notamment au sein :
- — d’activités en lien avec l’économie circulaire (collecte, réemploi, recyclage), même si le secteur privé traditionnel investit dorénavant pleinement ce domaine ;
- — des services de proximité (conciergerie, blanchisserie, etc), installés dans les zones où ils manquent : QPV, zones rurales, etc.
- — des activités sociales à destination des publics précaires (par exemple, l’aide alimentaire).
Afin de mettre en œuvre les activités du projet d’innovation territoriale, les porteurs pourront ainsi favoriser les collaborations et les sous-traitances avec des structures d’insertion. Intégrer ces dernières dans la chaîne de valeur du projet permet d’avoir un impact positif sur l’inclusion par l’emploi sur le territoire, et de renforcer l’exemplarité sociale et environnementale du projet.
La mise en synergie d’acteurs (ici économiques et structures d’insertion) peut par ailleurs avoir de nombreux impacts positifs sur l’emploi local :
— Identifier les métiers en tension sur le territoire et l’orientation des personnes sur ces offres d’emplois ;
— Permettre aux entreprises d’insertion de développer de nouveaux parcours d’emploi vers ces métiers en partenariat avec les entreprises du territoire ;
— Améliorer l’attractivité d’un certain nombre de métiers (médico-social, logistique, etc.) tout en améliorant l’inclusion professionnelle et sociale des personnes.
ACCOMPAGNER L’ORIENTATION ET LE PARCOURS D’INSERTION DES PERSONNES Si le besoin émerge lors de la phase de diagnostics, des ateliers d’aide à l’orientation ou d’accompagnement à la recherche d’emploi peuvent être organisés. Ces ateliers peuvent être très divers (cafés rencontres pour découvrir des secteurs d’activités, ateliers CV, carrefour de l’emploi, etc.). L’objectif est de réduire les freins (culturels, techniques, psychologiques) à l’emploi. Pour éviter les effets contre-productifs, il est important que ces ateliers soient encadrés par des personnes formées, ayant l’expérience nécessaire, et d’adapter les contenus aux publics ciblés prioritairement (jeunes, séniors, chômeurs longue durée, etc.).
Par ailleurs, l’identification de difficultés rencontrées par des personnes pour trouver un emploi peut donner lieu à des actions d’information et d’orientation vers des dispositifs d’inclusion par l’emploi (affichage dans le lieu, newsletter, etc.). Si cette activité d’orientation était jusqu’alors cantonnée à certaines structures, il est aujourd’hui plus aisé pour toute structure en contact avec des personnes en situation de vulnérabilité sur cette thématique de les orienter vers la plateforme de l’inclusion[1] ou les structures d’insertion du territoire concerné.
3.7 Mobilité
A. Mobilité, de quoi parle-t-on ?
La mobilité désigne « le rapport social au changement de lieu, c’est- à-dire l’ensemble des actions qui concourent au déplacement des personnes et des objets matériels. Dans ce cadre très large, les transports sont les systèmes techniques directement dédiés à ces déplacements[1] ».
Comprendre les enjeux sociétaux et territoriaux liés aux mobilités nécessite d’adopter une approche systémique de la notion de mobilité. Au-delà de la présence d’infrastructures et de services de transport, les conditions de mobilité d’un territoire dépendent d’une multitude de facteurs qui peuvent être :
- — spatiaux ou liés à l’urbanisme (ex : aménagement du territoire, répartition des commerces et services sur le territoire etc.) ;
- — économiques (ex : prix du carburant, financement des transports publics, etc.) ;
- — réglementaires (ex : âge d’accès au permis de conduire, réglementation des activités de transport public etc.) ;
- — démographiques (ex : répartition de la population sur le territoire, répartition des classes d’âges etc.) ;
- — technologiques (ex : motorisation, performance des différents moyens de transport etc.) ;
- — sociologiques (ex : modes de vie plus ou sédentaires, activités sociales et familiales dominantes etc.) ;
Il existe par conséquent de multiples angles d’approches permettant d’améliorer à petite ou grande échelle les mobilités du quotidien sur un territoire.
B. Un enjeu aux multiples ramifications
La mobilité est un enjeu crucial d’un développement durable, à la croisée des défis sociaux contemporains.
Enjeu environnemental Le secteur des transports en France est en 2020 le premier secteur émetteur de Gaz à Effet de Serre (31%)[1]. La majeure partie de ces émissions provient des voitures[2], dont la plupart sont alimentées par essence ou diesel. Enfin, les enquêtes montrent que 87% des français ont recours à la voiture pour un (ou plus) de leurs déplacements quotidiens et 21% n’utilisent que ce moyen de transport pour l’ensemble de leurs déplacements[3]. Le baromètre des mobilités du quotidien publié en janvier 2020 et réalisé par la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’Homme et Wiimoov révèle néanmoins qu’une majorité d’usagers de la voiture, s’ils n’ont pas toujours le choix dans le moyen de transport utilisé, sont sensibles et ont conscience de l’urgence climatique.[4]
Enjeu sanitaire À cet enjeu environnemental est bien-sûr associée une problématique de santé publique[1]. À l’origine de quasiment 50 000 morts chaque année, la pollution de l’air provoque également un certain nombre de désordres physiques non létaux qui fragilisent la santé des populations. Sur un autre plan, la crise sanitaire a souligné à quel point les difficultés de mobilité des personnes ont un impact sur leur accès aux soins : se déplacer pour bénéficier d’un vaccin, consulter des médecins généralistes ou spécialistes, être pris en charge par un hôpital, etc.
Enjeu social La mobilité est enfin un révélateur et un catalyseur des fractures sociales et économiques entre et à l’intérieur des territoires. En effet, les personnes disposant de peu de revenus sont les plus exposées aux problématiques de mobilité (achat ou location de véhicules, usage des transports publics, etc.). Par ailleurs, la grande disparité du maillage territorial de transports publics, en particulier entre zones urbaines denses, zones périurbaines et zones rurales implique une dépendance plus forte aux voitures particulières[1]. Parce qu’elles sont exposées à la combinaison de ces deux facteurs, les populations précaires des zones moins peuplées rencontrent de grandes problématiques de mobilité qui ont des conséquences majeures sur le reste de leur vie quotidienne : démarches administratives, trajet domicile-travail, accès aux services (culture, magasins, etc.).
Dans ce contexte, on comprend qu’agir sur notre système de mobilité et de transport, en réduisant, en optimisant et en partageant notre utilisation des moyens de transport routiers, est un des principaux leviers de la transition écologique et solidaire. Le secteur des mobilités a besoin d’innovations tant sur le plan technologique (ex : utilisation d’énergies à faibles émissions), que sur le plan social (ex : développement de réponses accessibles aux plus vulnérables) et territoriales (implication des différents acteurs locaux dans la définition et la construction des solutions).
C. Innovations territoriales et mobilité
Les projets d’innovation territoriale peuvent avoir un impact significatif sur la mobilité des personnes et d’un territoire.
DÉVELOPPER DES SOLUTIONS DE MOBILITÉ PARTAGÉE De par les collectifs citoyens qu’ils fédèrent, les projets d’innovation territoriale tissent des liens de confiance entre les personnes et favorisent l’identification croisée des besoins. Ainsi, les projets peuvent mettre au cœur de leur action la mobilité mais ils peuvent également favoriser, alors que ce n’est pas la verticale du projet, l’émergence de solutions spontanées de mobilité partagée. Ces solutions peuvent être par exemple l’organisation d’un système de co-voiturage pour les déplacements du quotidien ou pour accéder aux activités, ou encore de transports solidaires destinés à accompagner les personnes isolées ou en situation de vulnérabilité. La mixité des publics usagers d’un projet est alors un atout pour faire correspondre des besoins à des personnes disposant d’un véhicule. Il est important néanmoins d’assurer avec rigueur la fluidité de l’organisation de ce système afin de permettre à chacun d’en bénéficier dans les meilleures conditions.
PRENDRE EN COMPTE LA CONTRAINTE DE MOBILITÉ Les activités d’un projet d’innovation territoriale, lorsqu’elles prennent place dans un ou plusieurs lieux physiques, peuvent être difficilement accessibles pour un certain nombre de publics. Afin de ne pas exclure les publics ciblés par ces activités, il est donc indispensable pour les porteurs de projet de prendre en compte la distance et les modalités d’accès dans la mise en place d’un espace physique en fonction des futurs usagers. Si cela peut sembler évident, il n’est pas toujours aisé, face à la complexité opérationnelle de certains projets d’intégrer cette contrainte efficacement. C’est pourquoi il est utile d’anticiper cet élément le plus en amont possible du projet.
MUTUALISER LES RESSOURCES La cartographie des parties prenantes menée lors de la conception d’un projet d’innovation territoriale peut parfois mettre en lumière une utilisation non-optimale de flottes de véhicules des acteurs locaux (associations, entreprises, collectivités locales, etc.). Plusieurs dispositifs peuvent être mis en place pour proposer à ces acteurs de mettre à disposition des véhicules peu ou pas toujours utilisés, auprès de populations ou d’autres structures qui en auraient besoin. Cet effort de mutualisation répond ainsi à des objectifs socio-économiques et environnementaux et permet ainsi au territoire de s’engager dans une dynamique vertueuse de développement durable.
C’est par exemple le cas du programme Croix-Rouge Mobilités, qui permet à toute structure locale de la Croix-Rouge française (établissement, unité ou antenne locale) de développer des solutions de mobilité partagées et solidaires telles que l’autopartage, le transport solidaire ou encore le covoiturage, en s’appuyant sur les ressources de mobilité dont elle dispose elle-même (ex : flottes de véhicules) ou dont disposent d’autres acteurs locaux avec les- quels elle s’associe pour mener son projet (opérateurs d’autopartage, entreprise locale etc.). En développant sur son territoire d’implantation une communauté locale d’acteurs fédérés autour d’un projet commun et de valeurs communes autour de la mobilité durable et inclusive, le dispositif de la Croix-Rouge française contribue ainsi à l’amélioration des mobilités des populations les plus en difficulté et plus globalement à l’amélioration du système local de mobilité.
METTRE EN SYNERGIE ET FAVORISER LE DIALOGUE INTER-ACTEURS À l’échelle d’un territoire, une grande diversité d’acteurs agit au quotidien sur nos systèmes de mobilité :
— les habitants, par les déplacements qu’ils décident de (ou de ne pas) réaliser, ainsi que par leur choix modal (choix du moyen de transport pour réaliser un déplacement) ;
— les collectivités locales qui organisent la mobilité de leurs administrés et qui sont amenées, par l’intermédiaire de l’Autorité Organisatrice de Mobilité (AOM), à proposer des services de transport et de mobilité (transports en commun, plateformes de covoiturage etc.) ;
— les opérateurs de transport ou de services de mobilité, qui rendent possibles ou facilitent un certain nombre de déplacements ;
— les entreprises, qui acheminent et transportent quotidiennement des marchandises. La nature de leurs activités joue également un rôle important dans l’organisation des déplacements quotidiens de leurs salariés (trajets domicile-travail, télétravail…).
— les associations ou autres organisations de la société civile, qui génèrent également des besoins de mobilité de par leurs activités. Certaines contribuent par ailleurs à faciliter les mobilités d’une partie de la population.
Chacun de ces acteurs est confronté à des limites physiques, géographiques, logistiques, matérielles, économiques ou financières et ne peut ainsi pas toujours proposer des réponses à l’ensemble des besoins de mobilité identifiés. L’innovation territoriale permet de mettre en valeur les points forts et la capacité d’agir de chaque type d’acteur de la mobilité, afin de trouver des complémentarités et de faire émerger collectivement de nouvelles réponses ou leviers d’améliorations des réponses existantes.
En fédérant les acteurs d’un territoire au sein d’instances de dialogue, les porteurs de projet facilitent la mise en synergie d’acteurs de la mobilité (opérateurs de transport, collectivités locales, etc.), avec d’autres types de structures, comme les associations intervenant auprès de personnes vulnérables (personnes isolées, personnes âgées, personnes rencontrant des difficultés d’accès aux soins, etc.). Des besoins peuvent alors être exprimés et des solutions concertées peuvent émerger pour adapter le système de transports publics. Les synergies multi-partenariales créées dans les projets d’innovation territoriale produisent ainsi un effet bénéfique sur l’ensemble du système de mobilité d’un territoire.
3.8 Inclusion numérique
A. Qu’est-ce que l’inclusion numérique ?
Dans un contexte d’utilisation accrue des outils numériques, de dématérialisation des démarches administratives et de crise sanitaire, les difficultés que rencontrent certaines personnes avec les outils numériques sont de plus en plus visibles et de plus en plus discriminantes.
Les termes d’exclusion numérique, fracture numérique, illectronisme ou encore d’illettrisme numérique sont communément utilisés pour désigner la situation des personnes en difficulté. Pourtant, ils ne couvrent pas exactement les mêmes réalités :
- — L’illectronisme ou l’illettrisme numérique désigne le fait le fait de ne pas posséder les compétences numériques de base ou de ne pas pouvoir / savoir se servir d’Internet[1].
- — La fracture numérique est le décalage qui se creuse dans la société, entre les personnes qui maîtrisent les usages et possèdent des équipements numériques (téléphone, tablette, ordinateur) et ceux qui ont des difficultés d’ac- cès ou d’usage.
- — L’exclusion numérique est une nouvelle forme d’exclusion et de fragilité sociale liée à des difficultés d’accès ou d’usage des outils numériques. En effet, le numérique est devenu un outil essentiel pour s’insérer dans la société : rechercher un emploi, accéder à ses droits, communiquer, chercher de l’information, etc.
Selon le Baromètre du numérique du CREDOC publié en 2021, 35% des adultes éprouvent au moins une forme de difficulté avec le numérique. La plus importante est celle de la maîtrise des compétences numériques de base qui concerne aujourd’hui 18% de la population française.[1]
Pour évaluer si un individu est en situation d’illectronisme, l’INSEE s’appuie sur la méthodologie d’Eurostat qui distingue quatre domaines de compétences numériques de base[1] :
- — la recherche d’informations (sur des produits et services marchands ou administratifs, etc.) ;
- — la communication (envoyer ou recevoir des courriels, etc.) ;
- — la résolution de problèmes (accéder à son compte ban- caire par Internet, copier des fichiers, etc.) ;
- — l’usage de logiciels (traitement de texte, etc.).
En donnant une note à l’individu sur chacune de ces compétences (déclaratif) et en sommant ces quatre notes, on détermine un indi- cateur global de capacités numériques. Une personne est considérée en situation d’illectronisme si elle n’a ainsi aucune capacité numé- rique de base (elle obtient 0 dans chaque domaine).
Les problématiques d’accès à de l’équipement ou à de la connexion restent également des freins importants à l’inclusion numérique. On peut par exemple noter que :
- — 9% de la population ne dispose d’aucun point d’entrée vers internet (smartphone, tablette ou ordinateur) à domicile[1];
- — 11% de la population est équipée, mais l’équipement est dépassé ou trop vieux pour fonctionner correctement[2].
B. Les multiples enjeux de l’inclusion numérique
L’exclusion numérique est devenue en quelques années un enjeu social majeur et le développement massif d’activités d’inclusion numérique est indispensable pour permettre à tous de profiter pleinement du numérique comme outil d’insertion sociale, professionnelle, d’épanouissement personnel et de maintien du lien social.
En effet l’accès et la maîtrise des outils numériques peuvent avoir de nombreux impacts vertueux sur les personnes qui souffrent aujourd’hui d’une mise à l’écart de la société numérique :
COMPÉTENCES NUMÉRIQUES | IMPACTS |
—Se repérer dans l’environnement numérique d’un PC, smartphone ou d’une tablette (écran, clavier, souris, boutons) et maîtriser le vocabulaire de base —Utiliser les outils bureautiques (traitement de texte, tableur, présentation) —Utiliser un moteur de recherche et naviguer sur Internet —Envoyer, recevoir et administrer une boîte e-mail (manipuler des pièces jointes, identifier des spams, supprimer des e-mails, classer des e-mails) | Agir en autonomie pour des usages numériques de base |
—Élaborer son CV avec les outils bureautiques —Consulter des offres d’emplois —Candidater par la voie numérique et suivre son processus | Accéder à des opportunités professionnelles |
—Trouver des informations sur les structures de soins —Prendre rendez-vous en ligne —Gérer son dossier patient / ses données de santé —Recourir à la télé-consultation —Bien s’informer en matière de santé sur Internet —Gérer les usages numériques de son enfant —Suivre la scolarité de ses enfants (Espaces Numériques de Travail) | Prendre soin de soi et de ses proches |
—Réaliser et suivre les démarches administratives relatives aux aides et prestations sociales (minima sociaux, droit au chômage, allocations familiales, etc.) —Réaliser et suivre les démarches administratives relatives à la régularisation sur le territoire —Réaliser et suivre ses démarches d’état civil (pièces d’identité, carte grise, mariage, pacs, divorce) —Déclarer ses impôts en ligne (impôts sur le revenu et impôts en ligne) | Gérer ses démarches administratives |
—S’informer en ligne (identifier les fake news, vérifier les sources, etc.) —Trouver de l’aide et des ressources —Bien se former en ligne | Gérer ses démarches administratives |
—Créer et gérer son Identité numérique administrative (France Connect) —Accéder, stocker et sécuriser ses documents essentiels et ses données personnelles —Gérer ses mots de passe —Connaître les obligations de toute structure en matière de gestion des données personnelles —Exercer ses droits en matière de données personnelles —Utiliser à bon escient les réseaux sociaux | Gérer son identité numérique |
—Maîtriser les outils de communication (messageries, réseaux sociaux, outils de vidéoconférence) —Maîtriser les outils de participation citoyenne en ligne (ex: consultations sur Make.org) —Utiliser les outils de traduction | Maintenir le lien social |
Dans ce contexte, les innovations territoriales, parce qu’elles favorisent la rencontre, le partage et l’apprentissage au niveau local, apparaissent tout à fait pertinentes pour répondre aux enjeux de l’inclusion numérique.
C. Innovations territoriales et inclusion numérique
Plusieurs types d’activités d’inclusion numérique peuvent être envisagées au sein d’un projet d’innovation territoriale. Elles répondent à des besoins différents et impliquent un investissement variable en termes d’équipement, d’espace alloué à l’activité et de ressources humaines. S’il peut être enviable d’envisager des dispositifs d’inclusion numérique dans son projet, en particulier dans un contexte où la thématique est de plus en plus plébiscitée, de nombreux écueils peuvent apparaître pour les non-initiés à la thématique. Afin d’éviter les effets contre-productifs et maximiser l’utilité de ces dispositifs, un certain nombre de bonnes pratiques peuvent être adoptées.
LES POINTS D’ACCÈS NUMÉRIQUES Pour commencer, le fait de proposer un point d’accès à de l’équipement (ordinateur, tablette, imprimante, etc.) et / ou de la connexion internet permet d’apporter une réponse au premier frein qui est celui de l’accès à du matériel ou de la connexion. Ces initiatives répondent particulièrement au besoin des personnes qui maîtrisent les usages numériques et sont en capacité d’utiliser les outils en autonomie mais ne disposent pas d’équipement personnel et / ou de connexion à leur domicile. Les tiers-lieux ou les espaces partagés, parce qu’ils favorisent la rencontre de différents publics et mélangent les usages, sont des espaces particulièrement adaptés à la mise en place de ces dispositifs. Plusieurs bonnes pratiques sont à retenir pour les porteurs de projet :
- — Sécuriser son réseau internet et bloquer l’accès à certains sites et contenus ;
- — Configurer un mot de passe simple et l’afficher sur les murs du point d’accès numérique ;
- —Aménager le point d’accès numérique dans un coin calme et isolé qui permet de réaliser ses démarches dans le respect de la confidentialité ;
- — Assurer un nettoyage régulier des ordinateurs pour éviter que des fichiers ou données personnelles oubliés ne soient accessibles à tous (vider la corbeille, l’historique de navigation, effacer les mots de passe enregistrés, etc.).
L’ACCOMPAGNEMENT INDIVIDUEL Pour répondre spécifiquement aux besoins d’une personne qui a des difficultés d’usage, une communauté d’entraide ou un espace partagé peut proposer de l’accompagnement individuel, de façon spontanée (sans prise de rendez-vous) ou programmée.
Sur certains créneaux (idéalement fixes d’une semaine à l’autre), des aidants numériques qui maîtrisent les usages numériques de base se tiennent à la disposition des personnes en difficulté pour leur donner un coup de pouce numérique. Une posture pédagogique appropriée et une logique de « faire avec » (plutôt que de faire « à la place de ») sont essentielles pour que ces temps de médiation privilégiés permettent une réelle montée en compétences de la personne accompagnée. Ce type d’accompagnement est adapté pour les publics qui ne souhaitent pas forcément s’engager dans un cycle d’ateliers qui demande un investissement important. Il peut aussi être plus adapté pour des publics en situation de fragilité et / ou qui manquent de confiance en eux, et qui seront rassurés par un accompagnement individuel. Ces temps d’accompagnement privilégiés sont enfin un excellent moyen de rassurer les personnes et « dédiaboliser » le numérique pour ceux qui en sont le plus éloignés. Le porteur de projet pourra alors porter une attention particulière à :
- — laisser la personne accompagnée manipuler les outils au maximum, en la guidant par la voix et en lui donnant des conseils, afin de l’autonomiser un maximum ;
- — rassurer la personne et la mettre en confiance, pour lui montrer que l’utilisation des outils numériques n’est pas si compliquée et peut avoir de nombreux bénéfices ;
- — lorsqu’il est vraiment nécessaire de faire à la place de la personne, lui expliquer étape par étape comment procéder pour qu’elle puisse essayer la prochaine fois et surtout lui demander de valider chaque démarche que vous faites pour elle.
L’ACCOMPAGNEMENT COLLECTIF Pour accompagner des publics qui désirent développer leurs compétences numériques, le projet d’innovation territoriale peut également proposer des ateliers d’inclusion numérique en groupe. Ceux-ci peuvent être ponctuels, ou s’inscrire dans un cycle plus ou moins long en fonction des attentes des personnes. Des sites ressources gratuits mettent à disposition des structures de l’inclusion numérique des trames d’animation toutes prêtes, déjà testées et approuvées auprès de publics en difficulté avec le numérique. C’est le cas notamment des plateformes PIX et Les Bons Clics.
Le porteur de projet devra par ailleurs veiller à :
- — identifier au préalable le niveau et les attentes / besoins des participants pour créer des groupes les plus homogènes possibles ;
- — ne pas dépasser 2h30 d’atelier (quitte à prévoir plusieurs sessions) pour garantir un bon niveau d’attention des participants ;
- — prévoir un équipement (tablette ou ordinateur) par participant pour que chacun puisse s’exercer et mettre en application les conseils qui seront donnés.
Conclusion
Les défis sociaux du XXIe siècle sont nombreux, complexes et s’entrelacent. Les vulnérabilités multiples auxquelles les populations sont soumises, sont le terreau fertile à l’émergence de crises d’am- pleur, de fractures sociales, économiques et environnementales.
Pourtant, nous avons toutes les raisons d’être optimistes. Nous avons pu observer tout au long de cet ouvrage le formidable levier que constitue l’innovation sociale pour renforcer la résilience des territoires. Partout, les idées fourmillent et les initiatives innovantes se multiplient. Citoyens, associations, entreprises et pouvoirs publics unissent leurs forces pour construire les réponses nécessaires aux défis locaux et globaux.
Le secteur sanitaire et médico-social est un terrain formidable d’expérimentation pour mettre en œuvre de manière concrète, les solutions imaginées par ces communautés d’acteurs engagés. Les besoins sont immenses, mais la créativité et la volonté de tous le sont tout autant. Observons, testons, adaptons et partageons toutes les solutions imaginées au service de sociétés plus solidaires et heureuses.
Nous espérons que ce guide et les projets inspirants dont il se fait relais pourront servir de source d’inspiration et offrir des clés de compréhension et des outils utiles, pour accompagner l’émergence et le développement de dispositifs locaux, partout sur le territoire . Chacun à son échelle a le pouvoir de s’engager dans cette dynamique.
Regardons vers l’avenir et faisons le pari du collectif, de la coopération et de l’engagement.
À vous de jouer !